« La gauche sioniste n’a jamais considéré les Palestiniens comme des égaux », Pierre Stambul

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Pierre Stambul, membre du bureau national de lUnion Juive Française pour la Paix (UJFP).
Pierre Stambul, membre du bureau national de l'Union Juive Française pour la Paix (UJFP).

Plusieurs figures pacifistes de la gauche israélienne ont soutenu la guerre contre Gaza, comme le reste du pays. Comment expliquez-vous cette situation ?
Le problème c’est que le camp pacifiste ou anticolonialiste se partage entre sionistes et antisionistes, c’est là la vraie division qui compte. Les antisionistes sont trop peu nombreux. Les intellectuels tels que Abraham Yehoshua, Amos Oz, et David Grossman ont beau être opposés à la colonisation, ils demeurent sionistes. Déjà lors de la guerre au Liban (été 2006, NDLR), ce dernier a soutenu la guerre jusqu’à la mort de son fils engagé dans les combats, à partir de laquelle il a changé d’avis. La gauche sioniste n’a jamais considéré les Palestiniens comme des égaux. Ils disent simplement : « On vous concède un petit droit sur cette terre » pour temporiser. Une des raisons de l’échec de l’accord d’Oslo est l’opposition de la gauche sioniste au partage de Jérusalem et à l’évacuation de certaines colonies.

La gauche a même repris à son compte le thème de la sécurité, la guerre ayant été menée par Ehud Barak, ministre de la Défense et leader du parti travailliste. Est-ce une évolution structurelle de la société israélienne, ou le résultat – conjoncturel – de la faiblesse de la gauche ?
C’est structurel. Il n’y a aucune différence idéologique au sein du sionisme. Les termes de droite et de gauche n’ont aucune importance. Le dicton israélien selon lequel « Les Palestiniens [seraient] les nouveaux nazis, et Arafat le nouvel Hitler » a fait florès tant à droite qu’à gauche. Le Meretz (parti de la gauche sioniste, à la gauche du parti travailliste, NDLR) tout comme le mouvement pacifiste La paix maintenant avaient été prévenus par Tzipi Livni de l’offensive contre Gaza à l’avance, et ils l’ont accepté.
Le pire, c’est qu’Ehud Barak a eu beau adopter la politique de son rival de droite Benyamin Netanyahou, les sondages prédisent clairement que les électeurs préfèrent l’original à la copie (pour les élections législatives du 10 février, NDLR)!

La nature islamiste et intégriste du Hamas n’explique-t-elle pas le ralliement d’une large partie de la gauche israélienne à cette guerre, comme en 2006 à celle au sud Liban contre le Hezbollah ?
En apparence oui, mais ce n’est pas le cas. C’est là un prétexte mis en avant pour légitimer les offensives militaires. Comment expliquer autrement que le Ahmed Saadat, leader du FPLP (Front Populaire pour la Libération de la Palestine, marxiste, NDLR) soit condamné à la prison à vie, tout comme Marwan Barghouti, l’homme le plus populaire du Fatah ? Dans ces conditions, Israël érige le Hamas en héros de la résistance, et affaiblit ses seuls partenaires pour la paix. La stratégie d’Israël est claire : « On humilie ceux qui acceptent de négocier et on massacre ceux qui résistent ».

Vous êtes Juif et anti sioniste : la distinction se fait-elle sans peine auprès de vos interlocuteurs? êtes-vous optimiste pour l’avenir de cette distinction ?
Cette distinction va s’imposer ; l’amalgame Juif / sioniste revendiqué par Israël conduit à trop de dérives antisémites, par exemple dans les manifestations, des pancartes association l’étoile de David et la crois gammée. Nous luttons contre cela à l’UJFP, à chaque manifestation. Dans 80% des cas, les gens comprennent.
Lors des conférences que je peux donner, les gens sont surpris, étonnés ; y compris – voire surtout – parmi les Juifs. Mais parmi eux, nombreux sont ceux qui sont soulagés de voir que nous existons, on réalise alors que c’est une histoire beaucoup plus commune que ce que l’on pensait, que nous, Juifs anti-sionistes, partageons. Nous considérons le crime commis en notre nom par Israël insupportable. Même en Palestine, on arrive à faire la distinction entre Juif et sioniste, grâce à tous ces pacifistes qui manifestent contre les check points et le mur.

Les rares refuzniks et pacifistes manifestant en Israël peuvent-ils être aidés de l’étranger par des organisations telles que la vôtre ?
L’UJFP travaille en étroite collaboration entre autres avec l’AIC (Alternative Information Center, organisation binationale, NDLR) de Michel Warschawski, nous publions leurs communiqués, nous transmettons des informations… J’ai été plusieurs fois en Israël et Cisjordanie, mais la dernière fois j’ai été à deux doigts de l’expulsion.

Comment voyez-vous l’avenir du pacifisme israélien ?
Je pense que le projet sioniste est dans l’impasse et finira par s’épuiser. Le pacifisme s’imposera par lassitude vis-à-vis de cet état de guerre permanent dans lequel le sionisme plonge Israël. Les Israéliens, en particulier les jeunes, les bobos, en ont assez de vivre une guerre tous les trois ans. C’est cette aspiration à la normalité qui pourrait faire qu’une forme de rupture survienne. Déjà 15% des Israéliens vivent à l’étranger, nombreux sont ceux qui veulent partir respirer. L’apartheid et la guerre permanente, ce n’est pas tenable. Les Israéliens ont beau ne pas saisir que leur politique est immorale et inhumaine, ils comprennent en revanche qu’elle est suicidaire.

Propos recueillis par Antony Drugeon, L’IMAGINERE, le 2 février 2009

Pierre Stambul est membre du bureau national et ex président de l’UJFP, l’Union Juive Française pour la Paix.

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