« Les Juifs avons encore beaucoup à faire pour nous ouvrir aux chrétiens », Daniel Rossing

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Daniel Rossing milite pour le rapprochement judéo-chrétien. Photo : Antony Drugeon (CC)

A l’occasion de la visite du pape en Israël et dans les Territoires Palestiniens, Daniel Rossing, directeur du Centre de Jérusalem pour les Relations Judéo-Chrétiennes, analyse l’état des relations entre juifs et chrétiens à la lumière de ce voyage pontifical.


La visite du pape Benoît XVI s’annonce-t-elle délicate ?

Assurément, car il faut être conscient du fait que cette visite est très différente de celle du pape Jean-Paul II en 2000. Celle-ci intervient au début du pontificat de Benoît XVI, et non pas vers la fin comme pour son prédécesseur. Jean-Paul II bénéficiait d’une aura très positive, et du contexte particulier qu’était la célébration du jubilé de l’an 2000 du calendrier chrétien, préparé de longue date avec les autorités israéliennes.

Cette nouvelle visite papale ici intervient elle alors que ce pape, encore « récent », a déjà tenu des propos controversés à Ratisbonne (Allemagne) en 2006 sur l’islam et vient de traverser la controverse sur l’affaire Williamson (évêque négationniste invité par le pape à rejoindre l’Eglise catholique, NDLR) qui a fait grand bruit parmi les juifs.

Assurément, l’ombre du Jean-Paul II pèse encore sur Benoît XVI, et la comparaison est délicate pour lui.

Quels sont les enjeux de cette visite ?

Cette visite est avant tout un pèlerinage, et également un encouragement au pèlerinage pour les chrétiens du monde entier. Mais inévitablement c’est également une visite politique, avec la question du conflit israélo-palestinien en toile de fond, que le pape ne manquera pas d’aborder. Mais il y a également les rencontres avec les représentants des différentes religions qui tiennent une place importante dans le programme de la visite du pape. Enfin, dès le troisième jour de sa visite, le pape rencontrera diverses personnes telles que moi, impliquées dans le dialogue entre communautés et la paix. C’est là un autre aspect  significatif de la visite de Benoît XVI.

La visite du pape est-elle un moyen adéquat de favoriser le dialogue entre chrétiens et juifs ?

Cette visite au plus haut niveau est un excellent moyen de diffuser le message d’ouverture et de dialogue entre les deux religions vers le grand public. Toutefois, je pense que le travail de sensibilisation sur le long terme doit également être pris au sérieux.

Et d’ailleurs il faut dire que nous aussi du côté juif, nous avons encore beaucoup à faire pour nous ouvrir aux chrétiens.

En quoi le message du pape a-t-il des chances d’être écouté par les juifs ?

Le pape doit en fait naviguer entre deux chantages du type « si tu n’es pas entièrement avec moi, tu es contre moi », auquel autant les Palestiniens que les Israéliens sont tentés de le renvoyer. Le pape est sur une position plus difficile, qui consiste à dire « je suis avec chacun d’entre vous ». Il ne lui sera pas facile de faire entendre cette position du côté juif, mais la même difficulté l’attend du côté arabe.

Certains chrétiens critiquent la visite du pape à Yad Vashem, y voyant un excessif exercice de repentance. Le débat mérite-t-il d’être lancé ?

Selon moi, nous avons besoin de dépasser cette question de l’Holocauste. Il est malheureusement vrai de dire que la société israélienne instrumentalise l’holocauste à des fins politiques. Je pense qu’il faut transcender cette réalité, sans pour autant bien sûr oublier ce qui s’est passé.

A Yad Vashem, la position du Vatican est critique envers la présentation faite du pape Pie XII pour son rôle présumé pendant la seconde guerre mondiale. Mais le pape se rendra malgré cela à Yad Vashem, et ce sera sans doute pour lui l’occasion et l’endroit idéal pour se désolidariser à nouveau des propos de l’évêque négationniste Williamson.

Comment expliquez-vous la persistance de sentiments antichrétiens parmi la société israélienne ?

Récemment, le Centre de Jérusalem pour les Relations Judéo-Chrétiennes (CJRJC) a condamné le programme télévisé de la chaîne « Channel 10 » qui avait dépeint la vierge Marie et Jésus de façon insultante. Ces dérives ne sont malheureusement pas isolées, puisqu’un récent sondage commandé par le CJRCJ révèle que 41% des Juifs israéliens pensent que la religion chrétienne est une religion idolâtre.

Ces sentiments sont profondément ancrés dans les têtes non pas à cause du présent, mais à cause du passé. Les stigmates de plusieurs siècles d’oppression juive en terre chrétienne, l’Holocauste notamment, sont loin d’être dépassés.

Pourtant, l’Eglise catholique a particulièrement changé depuis cette époque, elle n’a cessé d’améliorer sa perception des Juifs, depuis l’Holocauste en particulier. De notre côté, on en est encore loin.

En fait, les Israéliens sont habitués à regarder les chrétiens ici comme les représentants d’une double majorité. Majorité chrétienne en se situant à l’échelle mondiale, et majorité arabe en se situant à l’échelle du Proche-Orient. Mais en réalité, il faut prendre conscience de ce que les chrétiens représentent une double minorité. Minorité arabe en Israël d’une part, et minorité chrétienne parmi les Arabes.

Le problème essentiel provient de ce décalage entre les perceptions et la réalité.

Comment envisagez-vous le travail de sensibilisation pour rapprocher juifs et chrétiens ?

Il n’y a aucun enseignement de portée significative sur le christianisme dans les écoles. Le centre de Jérusalem pour les Relations Judéo-Chrétiennes ne peut pas remplacer les programmes scolaires, alors on essaie d’impliquer certains professeurs dans l’ambition d’une meilleure compréhension mutuelle entre les deux religions, en publiant notamment des brochures.

La bonne nouvelle, c’est que 50% des Juifs israéliens considèrent que quelque chose devrait être enseigné à l’école sur le christianisme, un pourcentage qui monte à 68% parmi les laïcs. C’est encourageant.

Propos recueillis par Antony Drugeon, le 7 mai 2009

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