Il est fréquent d’entendre que la modernité, la mondialisation, voire l’occidentalisation, tendent à amoindrir la solidarité dans la société en général et la famille en particulier. Hors une étude de l’Université Hassan II-Mohammedia sur l’évolution de la famille marocaine vient nuancer cette affirmation.
Selon cette étude, les liens familiaux restent en effet très forts même pour les générations les plus jeunes : la quasi-totalité des Marocains (97%) estime ainsi qu’il est du devoir des enfants de prendre en charge leurs vieux parents contre seulement 2% pour qui ce devoir incombe à l’Etat et aux auspices de bienfaisance. De même, la majorité des parents (65%) considère toujours que les enfants constituent une sécurité pour l’avenir, ce qui montre que la solidarité familiale reste une valeur centrale et sacrée chez les Marocains, selon cette enquête.
Mais cela étant, le rapport des Marocains à la famille évolue. Car si nous déclarons accorder la plus haute importance à la famille, nous faisons pourtant de moins en moins d’enfants (la moyenne d’enfants par famille est de 3,72).
L’enquête suggère qu’il n’y a pas lieu de voir là une contradiction, y analysant un changement profond dans la représentation sociale que les Marocains ont des enfants. Cette mutation, typique des sociétés de moins en moins traditionnelles, accompagne la volonté plus ou moins consciente des parents d’accorder davantage d’attention à chaque enfant. L’enquête suggère comme explication l’importance croissante accordées aux études et au coût qu’elle occasionne chez les parents.
Cette enquête nous apprend d’ailleurs que la famille nombreuse est moins idéalisée. La moyenne du nombre idéal d’enfants par famille est de 2,92. Presque la moitié des sondés (46%) fait le choix de deux enfants au maximum. Les gens qui préfèrent 3 enfants ou 4 enfants représentent respectivement 28% et 18%. Le modèle de la famille nucléaire, moderne – un père, une mère, 2 enfants – semble donc s’installer, sur le modèle des sociétés occidentales.
Choisir son conjoint
Concernant la nature des rapports entre enfants et parents, la majorité (74%) est favorable au dialogue. Les gens qui sont encore attachés (ou qui se disent encore attachés) aux pratiques du passé sont peu nombreux (8%), à tel point que l’on peut dire que la responsabilité parentale est de moins en moins autoritaire.
L’autonomie du couple, à en croire l’enquête, est également valorisée: 57% préfèrent avoir un logement autonome et optent par la même occasion pour la famille nucléaire. Ceux qui souhaitent continuer à vivre avec leurs parents et donc manifester ainsi une préférence pour la famille étendue ne représentent plus 39% des personnes interrogées.
Pour les auteurs de l’enquête, le choix du conjoint est un indicateur qui permet d’apprécier l’autonomie des enfants. 79% trouvent que c’est le garçon qui doit lui-même choisir son épouse. Le taux baisse à 67% lorsqu’il s’agit du choix de l’époux par la fille. Ce qui illustre une rupture avec la tradition dominée par les mariages arrangés, quoique le consentement puisse être quelquefois formel.
Cette modernisation des liens familiaux éloigne tout de même les membres des familles. 31% rendent visite à leurs parents régulièrement (au moins une fois par mois), 46% rarement et 15% ne le font qu’à l’occasion des fêtes. Mais dans ce cas les valeurs semblent moins en être l’explication que les difficultés matérielles et l’éloignement géographique croissant.
Autre bémol, et de taille, à apporter à cette modernisation des rapports sociaux : les relations familiales restent tout de même marquées par des rapports hiérarchiques et autoritaires : 79% des personnes interrogées trouvent que l’obéissance de l’épouse à l’époux favoriserait l’entente au sein de la famille. Les deux types de relations familiales sont fondés sur des valeurs différentes, sinon opposées: d’un côté le dialogue (accepté pour les relations avec les enfants) et de l’autre, l’obéissance (encore de rigueur au sein du couple).
Cette enquête de l’Université Hassan II-Mohammedia a été menée auprès d’un échantillon représentatif de 1.000 personnes couvrant la quasi-totalité du territoire national. Les critères retenus par l’étude sont le milieu de résidence (urbain/rural), le sexe, l’âge, l’état matrimonial, le niveau scolaire et la profession.
Antony Drugeon, LIBERATION, le 15 novembre 2006
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