2009, année d’élections législative disputées et de l’établissement historique de relations diplomatiques entre la Syrie et le Liban, promettait d’être un tournant. Mais les recettes et les blocages qui font les rouages de l’actualité libanaise se sont parfaitement maintenus.
2009 s’est donc achevé sans coup de théâtre au pays du Cèdre. Après l’instauration officielle de relations diplomatiques entre la Syrie et le Liban, la tension est remontée à mesure qu’approchaient les élections opposant les deux camps rivaux qui se partagent le pays. La guerre civile qui avait été sur le bord d’éclater en mai 2008 rejaillissait dans les esprits, alors que le Hezbollah avançait confiant vers une victoire tout à fait probable. Mais la montagne que d’aucuns ont dressé de ce scrutin n’aura accouché que d’une souris.
La victoire de la majorité sortante, dite « pro-occidentale », face à l’opposition dite « pro-syrienne », emmenée par le Hezbollah soutenu par l’Iran, a été relativement modeste. Le camp de la majorité « du 14 mars »[1] a remporté le même nombre de sièges que sous la mandature sortante. Suffisamment en tout cas pour contraindre le Hezbollah à reconnaître sa défaite. Hassan Nasrallah en personne a déclaré, le lendemain même du scrutin, à la télévision libanaise, qu’il acceptait les résultats « dans un esprit sportif et démocratique ».
Les analystes promettaient au « parti de Dieu » de récolter les fruits de son opposition à Israël en 2006, qu’il avait sublimé en finançant activement la reconstruction dans ses bastions du Sud-Liban, alors que l’action de l’Etat peinait à s’organiser. C’est même sur une victoire prestigieuse qu’était resté le Hezbollah, suite à l’accord conclu à Doha entre majorité et opposition en mai 2008. Le parti avait obtenu par l’animation violente de la rue un droit de blocage revendiqué de longue date.[2]
Le soufflé est donc retombé, mais pour laisser place à un autre suspense. Cinq mois de tractations ont ainsi été émaillés par de multiples rebondissements internes à la scène libanaise, sans qu’un gouvernement ne voie le jour.[3]
Parallèlement, la Syrie et l’Arabie Saoudite ont opéré un rapprochement aussi rapide que spectaculaire. Riyad, ferme allié des Etats-Unis, rejetant toute perspective d’Iran nucléarisé dominant la région, avait jusque-là très mal reçu la mort de Rafic Hariri, proche du régime saoudien, et dont l’assassinat a jeté de lourdes suspicions sur Damas.
Contre toute attente, le roi Abdallah d’Arabie Saoudite s’est rendu – pour la première fois – en Syrie, les 7 et 8 octobre 2009. Une manière de sceller la réconciliation[4], avec à la clef une déclaration commune du roi Abdallah et du président Bachar Al-Assad soulignant « l’importance de l’entente entre les Libanais qui (devraient) trouver des points communs pour servir l’intérêt du Liban et former un gouvernement d’union nationale ». La déclaration, quoique triviale, conclue vraisemblablement un accord déterminant entre les deux Etats, puisque le lendemain, Saad Hariri a annoncé être parvenu à un accord de formation de son gouvernement.
Les spéculations vont bon train sur la teneur de ce rapprochement diplomatique. Est-ce la Syrie qui rompt avec ses positions traditionnelles, et donc avec l’Iran ? ou bien l’Arabie Saoudite qui se rapproche de l’axe syro-iranien ? Quoiqu’il en soit, le Liban apparaît en filigrane suspendu aux tractations de ses puissants et nécessaires alliés. Un sort qui relativise d’autant plus la portée de la nomination de ce gouvernement.
Gouvernement dont la répartition des postes ministériels entre forces politiques était d’ailleurs définie à l’avance. L’accord de Doha de mai 2008 a en effet posé les bases de la nouvelle formule de partage du pouvoir entre majorité et opposition. La formule dite « 15-5-10 » attribue quinze portefeuilles ministériels à la majorité, dix à l’opposition et cinq au libre choix du président. La formule s’est même affinée à l’occasion des tractations pour la formation d’un nouveau gouvernement : les portefeuilles de la Défense et de l’Intérieur doivent désormais être intégrés aux nominations présidentielles, d’une part, et d’autre part parmi ces cinq « ministres présidentiels », l’un doit être un chiite approuvé par le Hezbollah et Amal. Le seuil de 11 ministres accordant un droit de véto au Conseil des ministres est ainsi atteint par l’opposition. La classe politique libanaise montre ainsi sa connaissance fine de l’art du compromis.
Rares sont les Libanais à avoir suivi avec intérêt les développements de ces querelles byzantines. La lassitude gagne le citoyen ; mais toutefois pas l’entrepreneur. Faisant fi de la crise politique, le tourisme connaît un essor tel qu’il tire l’économie libanaise vers sa première embellie économique véritable depuis la guerre israélienne de l’été 2006. Le premier semestre 2009 a ainsi vu la fréquentation touristique bondir de 46,3%, selon un rapport de la banque libanaise Byblos. Une hausse grimpant à 57% pour le mois de septembre. Dans le même intervalle, le nombre de permis de construire a atteint son record, tandis que les importations de voitures bondissaient de 48%. Economistes, banques et gouvernement s’accordent ainsi à estimer à 6% la croissance du PIB sur l’ensemble de l’année 2009.[5]
La défaite du Hezbollah aux élections aura sans doute rassuré un marché qui ne demandait de toute façon plus qu’à être euphorique. Le sempiternel compromis qui fige la majorité pro-occidentale et l’opposition menée par le Hezbollah relève finalement d’un pacte de non-agression entre deux partenaires qui ont besoin l’un de l’autre.
Dans cet accord plus ou moins tacite, la majorité « du 14 mars » rassure les marchés internationaux tandis que le Hezbollah revendique avec succès son droit à la résistance. Une posture qui vise les Libanais craignant un retour de l’armée israélienne. Prospérité contre armement, reconnaissance internationale contre popularité interne. Le contrat a trouvé une illustration flagrante dans l’une des toutes premières décisions du gouvernement. Celui-ci s’est mis d’accord le 26 novembre sur un texte reconnaissant le droit « du Liban, de son gouvernement, de son peuple, de son armée et de sa résistance », en une allusion claire au Hezbollah, de « libérer tout le territoire libanais ». Une position qui s’inscrit en porte-à-faux vis-à-vis des résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU. Mais qui prend soin de nuancer en le liant à « la responsabilité de l’Etat de veiller à assurer la souveraineté du Liban, son indépendance et la sécurité de son territoire ». La vie politique libanaise, comme avant les élections, tourne encore autour de cet équilibre impossible à trouver.
Un balancement subtil et délicat entre les deux clauses d’un contrat décidément périlleux, qui n’attend que la prochaine crise pour éclater.
[1] La coalition au pouvoir s’autoproclame « camp du 14 mars » en référence à l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri le 14 mars 2003.
[2] L’autre revendication inflexible du Hezbollah étant de pouvoir conserver son arsenal d’armes, en contradiction avec les résolutions 1701 (2006) et surtout 1559 (2004) du Conseil de Sécurité de l’ONU.
[3] Entre autres coups de théâtre, le 14 juillet, l’explosion d’un dépôt d’armes dans un fief du Hezbollah a dégénéré et manqué de virer à l’affrontement entre les soldats français de la FINUL et la population locale ; Walid Joumblatt, chef du Parti progressiste socialiste (PPS) représentant la minorité druze, a annoncé le 2 août son retrait de la coalition du « 14 mars », avant de nuancer son propos ; enfin le 26 octobre, des miliciens du Hezbollah et de Amal (autre parti chiite, allié au Hezbollah) se sont affrontés, faisant quatre blessés.
[4] La réconciliation entre les deux pays avait débuté dès le début de l’année 2009 en marge d’un sommet économique à Koweit. Le 23 septembre, le président syrien Bachar Al-Assad avait été invité par le souverain saoudien à Djeddah, à l’occasion de l’inauguration en grande pompe de KAUST (Université de Science et de Technologie du roi Abdullah, en anglais).
[5] Arabies, Les défis du gouvernement , par Samir Sobh. Octobre 2009.
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