Sarkozy financé par Kadhafi ? Le mot « corruption » grand absent dans la presse

Antony DRUGEON

Animateur de communauté associative

Mar 13, 2012
Sarkozy financé par Kadhafi ? Le mot « corruption » grand absent dans la presse
Nicolas Sarkozy / Downing Street
Nicolas Sarkozy. Photo : Flickr/Downing Street

La campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy aurait été financée par le dictateur libyen Mouamar Kadhafi, d’après une  note secrète publiée par Mediapart le 12 mars. Pourtant, personne n’ose prononcer ou écrire le mot « corruption ».

La note secrète publiée par Mediapart suggère une inféodation du président français au guide libyen. Accusation grave donc. Pourtant, la réaction de la presse, 24 heures maintenant après la publication de cette information tonitruante, use d’une prudence qui ne s’arrête pas au contenu des articles eux-même (prudence évidemment bienvenue comme toujours sur des informations aussi difficiles à vérifier) mais jusque dans le lexique utilisé. Parce que, fusse sous le sceau de la prudence, un mot s’impose, évident, magistral, explicite (trop ?), pour qualifier précisément la nature de ces accusations : « corruption ».

Dire que Nicolas Sarkozy a été financé, ou, si on est rigoureux et précautionneux, aurait été financé, par le régime libyen, c’est évidemment dire qu’il a, ou aurait été, corrompu. Car 50 millions d’euros – faut-il le rappeler – est une somme de nature à créer des obligations. Utiliser le mot corruption ne signifie pas prendre partie ; cela permet juste de qualifier les faits dont on traite justement dans l’article en question. Ce serait un peu comme si on lisait un article sur le dernier sondage Hollande / Sarkozy sans qu’on lise jamais « présidentielle 2012 », ou « élection présidentielle ». Le défaut de contextualisation est aussi une faute.

Le mot corruption est peu utilisé par les rédacteurs : seulement 2 occurrences du mot dans le (long) article de Mediapart, aucune occurrence dans les articles du Monde.fr, de Liberation.fr, de 20minutes.fr, de Humanite.fr, de Metrofrance.com ou de Rue89 ; en revanche, on relève une contextualisation plus explicite de cette affaire dans le JDD (qui prend la peine de relier l’actualité chaude au dossier de Karachi : « Derrière cette tragédie se profile une affaire de corruption dans laquelle Ziad Takieddine est mis en examen. »), mais aussi de Capital.fr et du… Figaro.fr (seul journal avec Mediapart à proposer deux occurrences pour ce terme) !

Rien de militant à utiliser le mot « corruption »

J’en tiens une démonstration supplémentaire qu’il n’y a rien de militant à utiliser le mot : le bon journaliste doit nommer un chat un chat. Et en l’espèce, c’est d’une accusation de corruption dont Nicolas Sarkozy est la cible (à tort ou à raison, là encore je comprends parfaitement, en revanche, la prudence des médias). La présomption d’innocence n’interdit pas de mentionner la nature de l’accusation. Mais dans le cas de Capital.fr et du Figaro.fr, l’explication tient également à… un copié-collé de la dépêche de l’agence Reuters, dont ils sont restés très proches. Voilà le passage du Figaro :

Le document en question a été versé en octobre au dossier de l’enquête sur un attentat ayant tué onze Français à Karachi, au Pakistan en 2002, affaire derrière laquelle se profile une supposée corruption en marge de la présidentielle de 1995. Mis en examen dans ce dossier, pour son rôle dans la supposée corruption, l’homme d’affaires libanais Ziad Takieddine a joué par la suite un rôle d’intermédiaire économique entre la Libye et la France à l’époque où Kadhafi était en place (…)

Que le mot corruption soit absent du corps du texte est une chose. Mais le mot corruption n’est pas utilisé par les éditeurs non plus, en aucun cas on ne le retrouve en mot-clé. Lorsque le site web taggue ses articles, voici plutôt les mots-clés rencontrés :

  • Mediapart : Sarkozy, Nicolas Sarkozy, UMP, élection présidentielle, présidentielle, libye, Hortefeux, kadhafi, 2012, Takieddine ;
  • JDD : Nicolas Sarkozy, Mouammar Kadhafi,  Attentat de Karachi de 2002, Karachigate (les mots-clés les plus sérieux de cette petite sélection);
  • 20minutes.fr : Nicolas Sarkozy, Libye, Brice Hortefeux, Mouammar kadhafi (j’ai laissé la coquille de 20minutes.fr, qui ne daigne visiblement pas accorder sa majuscule au patronyme de l’ex-guide libyen)
  • Humanite.fr :  karachi, libye, nicolas sarkozy, kadhafi, jean-françois cope, brice hortefeux, ziad takkiedine, jean-charles brissard (idem, je conserve la graphie de l’Humanite.fr).

Pourtant, le mot corruption reçoit substantiellement plus de trafic en France que le mot Karachi (74 000 contre 49 000 recherches mensuelles):

Les mots-clés utilisés pour tagguer les articles sur ce sujet, avec le rajout de "Corruption"
Les mots-clés utilisés pour tagguer les articles sur ce sujet, avec le rajout de "Corruption". D'après Google Adwords.

Le référencement naturel ne peut justifier un tel rejet du mot-clé corruption, qui se hisse tout de même au dessus de « karachi », « mouammar kadhafi », « brice hortefeux » ou « ziad takieddine ». On peinera donc à expliquer, autant par l’éthique journalistique que par l’algorithme du référencement, cette omission de ce « gros mot » si dérangeant.

Sans doute pourra-t-on y voir une déférence zélée envers l’institution élyséenne. Le lecteur qui attendrait de son journal préféré qu’il l’informe des enjeux de chacune des informations en sera peut-être déçu.

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Fév 14, 2012
Nicolas Sarkozy, candidat mal aimé des SR ?

Qui a dit que la télévision ne s’engageait pas ? Le magazine de programmes TV Télé 2 semaines a en tout cas publié une dose de militantisme dans sa grille des programmes. Au détour d’un synopsis, sur le documentaire d’Arte Françallemagne, un destin deux mondes, le lecteur étonné a pu découvrir un « Nicolas Sarkozy (dehors!) », tel un tag ajouté à la peinture rouge sur un mur. Voilà la citation complète :

La France et l’Allemagne sont les piliers de l’Europe. Pourtant, ces Etats s’opposent sur de nombreux sujets et leurs dirigeants, Nicolas Sarkozy (dehors!) et Angela Merkel, multiplient les rencontres pour résoudre le problème de la dette.

"Nicolas Sarkozy (dehors!)" : plus qu'une coquille, un acte de malveillance qui embarrasse Prisma Presse
« Nicolas Sarkozy (dehors!) » : plus qu’une coquille, un acte de malveillance qui embarrasse Prisma Presse. (Photo : DR)

Prisma Presse a assuré qu’il s’agissait d’un « acte de malveillance délibéré réalisé en dehors de tous les circuits habituels de relecture et de validation des pages du magazine ». Ce qui est d’autant plus crédible que la réalisation des grilles de programmes des magazines TV du groupe Prisma Presse ont été externalisés auprès de Plurimedia, qui n’est autre qu’une filiale du groupe… Lagardère (externalisation qui n’a pas été sans heurts par ailleurs, même si rien ne permet d’établir de lien avec les résistances du personnel à ce projet). On se gardera pour autant d’y voir un peu vite un gage d’indépendance de ces grands groupes de presse vis-à-vis du président…

Entre le rédacteur, l’éditeur / secrétaire de rédaction, le monteur de la page si c’est une autre personne (comme un graphiste), plus on s’approche de la fin de la chaîne, plus l’individu a le pouvoir de glisser ce que bon lui semble. Mais visiblement, la main anonyme qui a rajouté cette mention subversive savait qu’elle pouvait agir dans l’anonymat.

Si en l’occurrence l’anecdote fait plus sourire (excepté pour la direction de Prisma Presse, qui a communiqué ses excuses aux lecteurs et au président Sarkozy), elle rappelle surtout que d’autres rajouts, moins évidents, plus subtils, des erreurs / des opinions, pourraient se glisser à l’avenir dans le fichier BAT envoyé à l’imprimeur, sans que personne ne le vérifie.

Visiblement, il y a un problème de process général : des erreurs peuvent passer certes, mais jamais sans qu’on puisse remonter à son auteur. Normalement, on doit pouvoir savoir quel est le correcteur de la dernière version, au moment de faire le BAT.

L’ego de Nicolas Sarkozy « inflated in translation »

Et ce n’est pas la première fois que Nicolas Sarkozy paie les frais d’un règlement de compte ourdi dans la chaîne de l’édition. En 2007, le candidat Sarkozy (oui, déjà) se voyait affublé d’un cinglant « ego surdimensionné » par un traducteur de France 2. Ce traducteur pour la version diffusée aux Etats-Unis du JT de France 2, américain, a donc publié le sous-titrage suivant :

« J’invite les Français à rallier mon ego surdimensionné (to rally my inflated ego) »

En « VO », Nicolas Sarkozy avait dit « J’invite les Français à s’unir à moi ». C’était une blague destinée à rester en interne, et publiée par erreur. Elle a coûté sa place au traducteur américain.

Je ne vois pas d’autres cas d’erreurs / malveillances d’édition qui se soient tourné contre Nicolas Sarkozy. En voyez-vous d’autres ?

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