La Kahina, une figure mythique et pourtant méconnue

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Être à la fois un mythe, et une anecdote oubliée de l’Histoire : tel est le paradoxe de la Kahina, selon Gisèle Halimi.

La célèbre militante des droits de la femme consacre en effet son dernier ouvrage à la Kahina, et à l’ambiguïté de ce personnage à la notoriété équivoque. Femme guerrière, reine, au destin hors norme, elle est devenue une figure mythique incontournable dans l’imaginaire berbère. Mythe, et par là même détail anodin : tel est le sort qu’a subi la Kahina, selon Gisèle Halimi. « Les historiens ont toujours minimisé son épopée » dénonce l’avocate, visant directement « l’Histoire officielle enseignée dans les pays maghrébins, incapables d’assumer leur amazighité« . Car l’aura mythique, prévient-elle, ne compense pas cette situation : glorifiée, mythifiée, la Kahina ne fait plus peur, comme « extraite de tout lien, de toute prise avec le monde« . La Kahina, explique Gisèle Halimi, ne peut être comprise que par une analyse approfondie, qui se détache tout autant du mythe, issu de l’imaginaire collectif, que du détail historique qu’en fait l’Histoire officielle du vainqueur.

Mais la résistance berbère à l’invasion arabe conserve ses lettres de noblesse jusqu’à aujourd’hui malgré le travail de sape de l’Histoire officielle précisément. Née au VIIIe siècle, dans une tribu de Berbères nomades, c’est-à-dire dans un milieu éminemment patriarcal, La Kahina parvient peu à peu à s’imposer et à prendre le pouvoir, pour porter la puissance de son peuple à son comble. Triomphant là où d’autres ont échoué, elle unit les Berbères nomades, puis les Berbères sédentaires. Et défait l’armée du général arabe Hassan. Lui qui se demandait encore avant de l’affronter, précise, mutine, Gisèle Halimi : « Vaincre une femme s’appelle-t-il vaincre?« . Cette « Jeanne d’Arc berbère, nord africaine » a séduit Gisèle Halimi dès son enfance : « J’ai longtemps attendu avant d’écrire ce livre, sur ce personnage que je portais en moi depuis l’enfance », explique l’écrivaine et avocate. L’ouvrage se veut donc bien documenté, pour approcher au plus près de la réalité du personnage; la littérature en la matière demeurant bien maigre. « Ibn Khaldoun, qui est peut être celui qui a le plus écrit sur la Kahina, n’y consacre pas plus que quelques lignes » précise Gisèle Halimi.

Quoi qu’il en soit, le personnage fascine nécessairement, au moins pour l’espoir qu’il représente pour la cause féministe. « La Kahina réunit toutes les libertés dont les femmes peuvent rêver« , poursuit Gisèle Halimi. Liberté sexuelle notamment sur laquelle s’attarde l’écrivain, mais aussi liberté religieuse et liberté politique, dans une période où le poids de la religion était normalement très pesant notamment à l’égard des femmes. La Kahina, fille unique du roi de sa tribu, subit dès son enfance l’impression de ne pas exister du fait de son sexe; parvient à échapper au monde typiquement féminin, en allant à la chasse, en refusant les tatouages féminins, préférant des motifs plus virils. Elle parvient peu à peu, ainsi, à faire accepter son autorité sur l’ensemble de la tribu. S’appuie sur la religion, juive en l’occurrence, davantage pour asseoir son autorité que par conviction semble-t-il. Mais, contrairement à ce qui a pu être dit quelquefois, elle ne verse jamais dans le fanatisme religieux, même lors de l’invasion de l’islam.

Elle fait même preuve d’ouverture, choisissant ainsi pour mari Khaled, un Arabe, et musulman. Ce faisant, elle enfreint une loi berbère interdisant les mariages mixtes. Preuve ultime de son affranchissement envers la tradition, tout comme elle avait d’ores et déjà eu deux enfants de deux lits très différents, ignorant les prescriptions morales de son temps quand il s’agit de sa vie sentimentale et sexuelle.

Mais cette femme politique hors pair, cette grande guerrière, n’aura pas su résister éternellement face aux assauts du général Hassan. A l’heure de la défaite, elle préfère exhorter à son fils de rejoindre l’ennemi musulman et arabe, tout comme son peuple à se convertir, pour les préserver. Abnégation sage de la guerrière, qui, dans son dernier acte de bravoure, affronte son ennemi en duel, pour mourir en reine. Fin tragique donc qui sied à un destin hors norme, aventurier, avant-gardiste. Et qui permet à la Kahina de rentrer dans l’Histoire comme symbole culturel incontournable pour les Berbères du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, « mais aussi de France » tient à rappeler Gisèle Halimi. D’ailleurs, pour elle, son ouvrage est bien moins une revendication politique, ou l’expression d’un quelconque sentiment de revanche, qu’une tentative de revendiquer haut et fort l’identité culturelle berbère.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 17 et 18 février 2007

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