Quand la photo se laisse peindre

Antony DRUGEON

Animateur de communauté associative

Juil 29, 2006
Quand la photo se laisse peindre
Antony Drugeon.
Les cartes postales désuètes revivent grâce à l'intervention du peintre. Crédit photo : Antony Drugeon

Exposition iconoclaste où la photographie apprend à se laisser peindre…

Mardi une exposition de peinture d’un genre un peu particulier s’est clôturée, puisque Ahmed Taoufiq (à ne pas confondre avec le ministre de même nom) vient juste d’exposer à Casablanca 63 toiles, toutes des reproductions de vieilles cartes postales datant de la présence française.

La démarche de reproduire des photographies en en faisant des tableaux peut paraître surprenante. Pourtant, l’idée peut s’avérer particulièrement intéressante. Prenant pour cadre le somptueux siège de la Région du Grand Casablanca, ancienne résidence du pacha, cette exposition a ainsi permis à chacun de découvrir librement les photographies jaunies, en noir et blanc, de Casablanca, où‌ l’ex-« place de France » (actuelle place des Nations Unies) à peine reconnaissable, ignorait encore le goudron.

Les visiteurs ont ainsi pu comparer leur lieu de vie quotidien avec ce qu’il avait pu être auparavant tel que les cartes postales le montraient. Mais l’apport de l’artiste est d’avoir su saisir l’essentiel de chaque photo pour en faire un tableau épuré, où une atmosphère propre est mise à l’honneur, débarrassée des mille fioritures dont sont souvent encombrées les photographies d’une ville déjà grouillante.

Toutefois les représentations de ville étaient loin d’être la seule curiosité de l’exposition, puisque de nombreux portraits permettent de saisir quelques scènes d’une vie quotidienne comme ressuscitée d’un passé oublié, et là encore l’intervention de l’artiste fait d’un portrait parfois trop peu expressif sous forme photographique un tableau saisissant. Ainsi les tenues traditionnelles et les gestes des Touaregs prennent un autre visage, sortant du regard anthropologique du photographe pour recueillir toute la chaleur des couleurs d’un peintre que l’on sent complice (nostalgique, peut-être) de l’époque de ces visages profondément humains.

Ce travail humain et humaniste est d’ailleurs l’œuvre d’un passionné de l’art pour l’art, pour qui la peinture n’est qu’un loisir, puisque ces toiles (il en a déjà réalisé 120) ne sont pas à vendre. Ayant gagné sa vie dans le textile, Ahmed Taoufiq, aujourd’hui âgé de 62 ans, n’a fait de la peinture qu’un passe-temps dénué de toute considération pécuniaire. L’exposition, gratuite, se tiendra désormais à El Jadida, durant tout le mois d’août.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 29 juillet 2006

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Juil 14, 2006
Deux Marocains visés par la politique d’expulsion en France
Manifestation du Réseau Education Sans Frontière à Nîmes (Gard)
Manifestation du Réseau Education Sans Frontière à Nîmes (Gard)

Un lycéen marocain de 19 ans expulsé de France, tandis qu’un autre tente de rebondir sur l’impopularité de ces expulsions.

Un lycéen marocain, Abdallah Boujraf, 19 ans, célibataire et vivant en France depuis l’âge de 14 ans, a été expulsé vendredi 7 juillet vers le Maroc, a indiqué la préfecture de police de Paris.
Ceci survient tandis que le gouvernement français est en plein embarras, alors que l’opposition à la loi sur l’immigration de Nicolas Sarkozy, le ministre de l’Intérieur, gagne toutes les villes de France. Cette loi visant également des enfants, elle est devenue très peu populaire. Ce qui avait contraint N. Sarkozy à déclarer un moratoire sur les expulsions jusqu’à la fin de l’année scolaire. Depuis que celui-ci est arrivé à expiration, de nombreuses associations se sont créées pour héberger le cas échéant les enfants menacés d’expulsion et faire ainsi obstacle à l’application des directives du ministère de l’Intérieur. Ces associations se sont fédérées au sein du Réseau Education Sans Frontières (RESF), lequel annonce qu’il s’agit de la première expulsion d’un élève depuis la fin de l’année scolaire et du moratoire.

Selon la préfecture, Abdallah Boujraf, arrivé en France à l’âge de 14 ans pour rejoindre son père qui y travaille depuis 26 ans avec une carte de résident, est « en situation irrégulière » en France. Le lycéen serait entré en France « sans visa » et a sollicité un titre de séjour en mai 2005 (à ses 18 ans) qui lui a été refusé en octobre de la même année. Abdellah Boujraf « n’a pas quitté le territoire » à cette date « comme il y était invité car en situation irrégulière », précise la préfecture.
Le RESF a promis d’organiser une mobilisation pour demander le retour d’Abdellah Boujraf. « On ne désespère pas de l’obtenir », déclare un animateur du Réseau, citant le précédent retour en France d’une Malienne expulsée en mai, ou encore la décision du tribunal administratif de Montpellier d’annuler l’expulsion du collégien Marocain Mourad Kadi. Toutefois ce dossier là risque d’être médiatiquement plus « délicat » : Abdallah Boujraf a été arrêté le 30 juin dernier accusé de l’agression d’un sans domicile fixe (SDF); même s’il nie ces accusations. De plus il n’est pas mineur. Un autre Marocain de 19 ans, Ali Taghda, menacé d’expulsion, suscite également une large mobilisation en sa faveur, dans la région de Montpellier. Arrivé en France en 2002, il vit avec son père handicapé qu’il assiste, lequel est muni d’une carte de séjour et travaille en France depuis 1970.

Désormais, le gouvernement français semble handicapé par ce dossier. En effet, si Nicolas Sarkozy espérait affirmer son image de présidentiable auprès de la droite, il a choqué l’opinion publique en s’en prenant même à des mineurs. Il a dû reculer en prononçant un moratoire mais celui-ci n’a pas permis à la contestation de retomber comme il l’escomptait avec l’arrivée de l’été et de la Coupe du Monde. La préfecture de Paris a cru apaiser la situation en déclarant envisager de « régulariser plusieurs milliers de famille ». Mais cela a suscité un malaise au sein de la droite, à laquelle Nicolas Sarkozy ne cesse de répéter que les régularisations ne s’étudient qu’ « au cas par cas ». Les difficultés du ministre de l’Intérieur faisant la satisfaction du Premier Ministre et rival de Sarkozy, Dominique de Villepin. Pendant ce temps, la gauche espère pouvoir reprendre des couleurs et espère sortir de son atonie à l’approche des élections présidentielles et législatives de 2007.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 14 juillet 2006

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Juin 29, 2006
Les expulsions d’enfants de parents clandestins en France émeuvent l’opinion publique

Mobilisation d’une école toulousaine contre l’expulsion d’un Marocain et d’une Angolaise

Mardi, plus d’une cinquantaine de personnes se sont rassemblées devant une école primaire de Toulouse (sud-est de la France) pour manifester leur soutien aux deux enfants qui y sont scolarisés mais menacés d’expulsion. Un petit Marocain et une petite Angolaise, dont les mères sont menacées d’expulsion, sont ainsi au centre de cette mobilisation. La mère Marocaine, Zakia Abchir, est arrivée du Maroc avec son fils Rafik en 2002 pour rejoindre le père, un chauffeur vivant à Toulouse depuis 20 ans et titulaire d’une carte de séjour. Mais Zakia Abchir s’est vu refusé sa demande de regroupement familial en se faisant prier par la préfecture de quitter le territoire français sous deux mois, a expliqué une représentante de son collectif de soutien. Très vite, « les parents en apprenant la situation ont décidé de faire une pétition pour permettre à ces enfants de rester en France » a expliqué la directrice de l’école Emy Levy à la presse. Le mouvement a su mobiliser lors de la manifestation de mardi dernier non seulement des parents et leurs enfants, mais aussi des conseillers régionaux et généraux, des membres du Réseau Educatif Sans Frontières (RESF) et la Ligue des Droits de l’Homme (LDH).

Ces évènements traduisent le renforcement de la lutte contre l’immigration clandestine menée par le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Celui-ci ne cache plus son ambition de disputer à Jean-Marie Le Pen (FN, extrême-droite) son électorat, cherchant à se forger une image intransigeante et sécuritaire. Une stratégie directement inspirée du choc de 2002, lorsque M. Le Pen avait à la surprise générale atteint le second tour de l’élection présidentielle.

Ainsi, Nicolas Sarkozy entend multiplier les expulsions des familles non régularisées. C’est dans ce contexte qu’a été voté son projet de loi sur l’immigration le 17 juin par les sénateurs. Cette loi prévoit notamment de limiter le regroupement familial. Ainsi celui-ci serait soumis à certaines conditions de ressources et de logement ; en outre le délai de 2 ans nécessaire pour qu’un conjoint de Français obtienne une carte de résident valable 10 ans passerait à 3 ans. La loi pour rentrer en vigueur doit être votée par les députés ce qui devrait survenir vers le 1er juillet.

Mais l’opposition à ce projet de loi, si elle prenait de l’ampleur, pourrait peut-être contraindre le gouvernement à faire marche arrière. En effet, d’ores et déjà, alors que les expulsions de clandestins se multiplient, on assiste à des mobilisations dans les écoles où sont menacés d’expulsion certains élèves, où des collectifs de parents d’élèves souvent soutenus par la direction de l’école se constituent. Certains espèrent même déjouer les plans de la police en abritant chez eux les enfants « clandestins » et en allant les chercher à l’école. Le sujet occupe le devant de la scène médiatique en France depuis quelques jours déjà.

Ainsi, le 6 juin, au Mans (ouest) la police est venue expulser deux enfants kurdes Turcs en interrompant la classe. Cela a eu pour effet de mobiliser l’association de parents d’élèves FCPE, le Mouvement contre le Racisme et Pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP) et la Ligue des Droits de l’Homme pour une manifestation samedi dernier, qui a réuni 11.200 personnes selon la police, et 35 000 selon les organisateurs.

Antony Drugeon, LIBERATION, 29 juin 2006

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