Tariq Ramadan interroge la pratique religieuse

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Compte-rendu de la conférence « Islam et culture » donnée par Tariq Ramadan, le samedi 7 octobre 2006 à Casablanca.

Le centre culturel Sidi Belyout à Casablanca a accueilli samedi dernier Tariq Ramadan, qui à l’occasion de la sortie de son livre Vie du prophète Muhammad a tenu une conférence sous le thème de « équilibre entre matérialité et spiritualité à la lumière de la vie du prophète ». L’occasion pour lui de mettre en garde contre une pratique de la religion purement formelle, vidée de son sens spirituel. Face à un auditoire d’environ 300 personnes, le professeur d’islamologie est revenu sur des épisodes de la vie de Mahomet, pour souligner que chaque détail de l’existence même en apparence insignifiant peut se révéler utile à la propre réforme de l’individu par la suite. Tariq Ramadan a donc défendu sa vision du musulman comme étant celle d’un individu faisant toujours un travail sur lui-même pour chercher le sens de son existence. Rappelant que le ramadan fut pour Mahomet un exil intérieur, il a exhorté l’auditoire à ne pas voir dans le ramadan qu’un jeûne, insistant sur la pureté des actes et des sentiments également. « Malheureusement nous sommes trop formalistes » a-t-il regretté, craignant que le ramadan ne devienne une période de festivités et de festins comme Noël, au détriment de la valeur spirituelle du rite. Tariq Ramadan a défendu ce retour sur soi à fin responsabilisation. « L’islam n’entretient pas la victimisation, mais plutôt la responsabilisation » car si la religion, du point de vue formel, trace la frontière entre le bien et mal, et donc permet de juger, du point de vue spirituel, en revanche, le pratiquant est invité à « trouver 70 excuses à son frêre » pour lui pardonner. Cette dialectique entre le jugement (‘adl) et l’amour de Dieu (ihssane) est trop souvent déséquilibrée du côté du jugement, estime Tariq Ramadan.

L’auditoire, attentif, a semblé estimer au plus haut point l’intervention. Au moment des questions, de nombreux intervenants ont évoqué les problèmes de mésentente entre l’islam et l’Occident. Tariq Ramadan, qui revendique son rôle de pont entre les deux, a mis en garde contre le « piège de la polarisation » en deux blocs. Invitant les musulmans à ignorer les provocations comme les caricatures danoises de Mahomet, il a souligné le rôle contre-productif joué par les réactions émotives et excessives de certains musulmans. Concernant les récents propos du papa sur l’islam, il a défendu une position relativement originale puisqu’il n’a pas vu dans les propos de Benoît XVI d’agression vis-à-vis de l’islam à l’exception d’une autre partie de ce même discours qui considère l’Europe comme exclusivement chrétienne et grecque. Or selon lui la population musulmane en Europe aura doublé dans 50 ans, et l’islam ne peut donc continuer à être perçu comme extérieur à l’occident. S’il a refusé que la religion musulmane puisse être qualifiée de violente par essence, il a invité les critiques de l’islam à se pencher sur les sources des violences avant de les juger. Une façon de défendre, à côté de l’idée de justice, celle de justesse. Comprendre avant de juger.

Antony Drugeon, LIBERATION, 14 & 15 octobre 2006

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