Casablanca : la métropole s’embourgeoise

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Le manque de foncier exerce une pression sur les prix de l'
Le manque de foncier exerce une pression sur les prix de l'immobilier. Photo : Antony Drugeon (CC)

Vivre à Casablanca serait-il en train de devenir un privilège ? A en croire l’évolution des prix, on en est pas loin. La capitale économique du pays connaît une raréfaction des terrains urbanisables, et donc le prix du foncier grimpe en flèche : sur les dix dernières années, les chiffres sont sans appel. Un récent rapport de l’Agence urbaine dresse en effet le panorama des prix de l’immobilier casablancais.

A Casablanca le mètre carré d’habitat économique se négociait autour de 4.000 dh il y a dix ans, aujourd’hui il gravite autour de 7.000 dh. Pour les villas l’évolution est du même acabit : de 2.000 dh, le prix du mètre carré a atteint un peu plus de 4.000 dh; c’est du côté des immeubles que le prix du terrain est l’objet des plus fortes augmentations. Ainsi le mètre carré de terrain à immeuble est passé sur la même période de 9.000 dh à 14.000 dh, selon le rapport de l’Agence urbaine.

Sans surprise, les grands boulevards, le plein centre, sont les plus touchés : dans le triangle de l’avenue El Massira, du boulevard Zerktouni et de l’avenue Hassan II, ainsi qu’autour de la place Mohamed V et de la préfecture, ou sur « le front » des grandes artères (avenue des FAR, boulevards Zerktouni, d’Anfa, Ghandi…) les prix peuvent dépasser les 25.000 dh/m2 ; d’où la présence importante d’immeubles de bureaux. L’habitat est ici trop cher pour la plupart des bourses. Le cadre de vie impacte grandement les prix: le front de mer, à Anfa connaît des prix variants entre 12.000 et 20.000 dh/m2. Le même type d’habitation, (villas) se retrouve à l’ouest et au sud de la ville mais pour des prix inférieurs (entre 8.000 et 12.000 dh). C’est surtout vers l’est de la ville que les prix descendent le plus par rapport au centre ville : avec des prix situés entre 3.000 et 5.000 dh le mètre carré, dans les quartiers populaires de Sidi Othmane, Aïn Chock, ou Moulay Rachid. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre ville, explique le rapport, les valeurs diminuent pour atteindre moins de 150 dh/m2 en zone rurale. Seules les zones urbaines, telles que Médiouna ou Tit Mellil font regrimper les prix fonciers (2.000 à 3.000 dh/m2). L’augmentation des prix est telle qu’elle ne se cantonne pas au centre-ville ; la périphérie se renchérit elle aussi. Car si la population de la ville ne cesse de croître, du fait de l’exode rural et d’une forte croissance démographique, alors que le nombre de terrains disponibles plafonne. Or rareté oblige, les prix décollent.

Mais l’augmentation des prix fonciers n’est pas tout : l’offre est de plus en plus déconnectée de la demande. Comme l’explique Mohamed Charif Houachmi, consultant à l’agence immobilière Lazrak à Casablanca, « le prix du foncier a un effet d’entraînement sur les prix de l’immobilier. Car le promoteur est dans la nécessité de répercuter le prix du terrain sur celui de l’habitat. Donc par logique de rentabilité, nécessairement les promoteurs se doivent de proposer uniquement du haut standing, dans le centre. » De plus en plus de clients recherchent des appartements modestes, d’environ 100m2, entre 800.000 et 1.200.000 dh. Ce qui correspond à la capacité moyenne d’emprunt d’un cadre, poursuit M. Charif Houachami. Mais faute de trouver ce type de produits, beaucoup doivent se tourner vers des appartements de haut standing. Et donc renoncer à être propriétaire. « Il y a 10% de personnes qui peuvent se permettre d’acheter, et qui louent donc aux 90% autres. » Une situation étonnante, qui accumule gaspillages de ressources et inégalités. Alors certes il y a bien des terrains moins chers, où il peut être rentable de proposer des logements plus modestes. Mais là encore, le marché peine à assouvir la demande. M. Charif Houachami pointe du doigt un manque de professionnalisme chez bon nombre de promoteurs, qui, souvent néophytes, réalisent leur premier (voire unique) projet, et qui en font donc un produit haut de gamme pour maximiser leur retour sur investissement. C’est ainsi que les appartements et les studios de moyen standing sont très rares. Ce à quoi s’ajoute encore un problème de commercialisation. Les agences immobilières proposent en effet assez peu de locations modestes aux particuliers, sachant qu’il y a au Maroc « 30 millions d’agents immobiliers », pour reprendre l’expression, désormais célèbre dans le milieu immobilier, du patron du groupe immobilier français Century 21. La quête d’un appartement se faisant souvent par bouche-à-oreille, il est difficile de trouver une liste exhaustive de l’offre. Cette opacité du marché explique en partie également les prix en cours actuellement.

Peut-on espérer une accalmie du marché ? Le secteur de l’immobilier casablancais est dans l’attente du nouveau plan d’aménagement urbain de l’Agence urbaine. Le dernier plan, datant de 1998, ne parvient en effet plus à canaliser les demandes des promoteurs.

Un haut responsable à l’agence urbaine assure qu’un nouveau plan est à l’étude, et devrait entrer en vigueur en 2008. Si l’on ne peut pas en connaître d’ores et déjà les grandes lignes, il devrait néanmoins « s’inscrire dans la continuité des choix historiques de la ville ». A savoir réserver les constructions d’immeubles au plein centre, et privilégier la restructuration de logement, quitte à réhabiliter les bidons ville, plutôt que construire du neuf, compte tenu de la raréfaction du foncier dans la métropole. Principale nouveauté de ce prochain plan : le projet de création d’une ceinture verte de 300 ha autour de la ville, à proximité de la rocade, afin de lutter contre l’insuffisance en espaces verts dont souffre Casablanca. Reste qu’entre la circulation, le logement, et les espaces verts, le prochain plan aura fort à faire pour être gagnant sur tous les tableaux.

Antony Drugeon, LIBERATION, 21 & 22 octobre 2006

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