L’Algérie se rend aux urnes pour des élections verrouillées

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L’élection présidentielle algérienne se tiendra jeudi, dans un climat marqué par la mise à l’écart de l’opposition et une abstention difficile à estimer. Après 17 ans de lutte armée des islamistes, le pays peine à entamer une démocratisation pleine et entière. La réélection d’Abdelaziz Bouteflika, qui s’apprête à entamer son troisième mandat, ne fait guère de doute.

« Transparence et régularité ». Tels sont les maîtres mots du président algérien Abdelaziz Bouteflika lorsqu’il commente l’élection présidentielle qui doit se tenir jeudi 9 avril. Candidat à un troisième mandat, « Boutef » comme le surnomment les Algériens a pris les devants face aux accusations de trucage des élections, monnaie courante en Algérie.

A son initiative, des observateurs internationaux de l’Union Africaine (UA), des Nations Unies, de la Ligue Arabe et de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) sont venus superviser le scrutin. Une façon de se prémunir des tensions survenues lors du dernier référendum en 2005, où seuls des observateurs nationaux étaient présents. Face aux pressions des autorités, ils avaient même quitté les bureaux de vote avant la fin de leur mission.

Le président Bouteflika, qui n’affronte pas de candidat en mesure de le menacer, semble donc en passe de gagner son pari. Sa réélection jeudi fait peu de doute. A 72 ans, l’homme est assuré de remporter son troisième mandat présidentiel dès le premier tour, qui plus est grâce à un scrutin qui a toutes les chances d’être régulier, du moins dans les formes.

L’élection est présentée comme inégale pour d’autres raisons. « L’utilisation de l’appareil de propagande de l’Etat pour la réélection de Bouteflika, qui est omniprésent dans les médias, est la véritable entorse démocratique », explique Khadija Hafsaoui, étudiante en droit franco-algérienne, observatrice électorale auprès de l’OSCE, contactée par Guysen.

En des termes policés, le quotidien algérien de référence Al Watan relève que « les moyens financiers et humains dont [le directeur de campagne du président] dispose lui donnent une intéressante marge de manœuvre ». Le président-candidat est omniprésent tant à la télévision, où les autres candidats n’ont pas droit de cité, que sur les murs, où son affiche revient régulièrement. Saïd Sadi, le chef du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), et virulent candidat d’opposition, accuse M. Bouteflika de « se servir des moyens de l’Etat pour se maintenir au pouvoir » et lance les mots de « voyou » ou « escroc ».

Pas moins de 5.000 associations religieuses, de quartier, de jeunes, de femmes, ou des scouts auraient été mobilisés pour faire du porte à porte dans la seule capitale Alger, selon le quotidien Le Soir d’Algérie. Un centre d’appel a même été ouvert pour l’occasion. « Plus de 100.000 appels ont été lancés ainsi que des e-mails pour enlever l’idée que le match est vendu », a souligné M. Zitouni, directeur de campagne d’Abdelaziz Bouteflika. Même les imams appellent les fidèles à accomplir leur devoir de citoyen.

Dans ces conditions, les observateurs électoraux internationaux ne garantissent pas à eux seuls la régularité du scrutin. D’autant plus que leur rôle reste limité. « Généralement, les observateurs ne peuvent que rédiger des rapports, leur mandat leur interdisant d’intervenir dans un bureau de vote en cas d’irrégularité », explique Khadija Hafsaoui. Une précision que les trois représentants des Nations Unies ont tenu à établir : « A l’issue de la mission, nous allons élaborer un rapport objectif qui sera adressé au secrétaire général des Nations unies » Ban Ki-moon, expliquent-ils dans un communiqué publié lundi 6 avril, rappelant qu’ils n’ont qu’une « mission de suivi et de rapport », et non pas une « mission d’observation ».

Le site d’information en ligne d’opposition Tout sur l’Algérie rapporte même qu’une femme fonctionnaire, militante du parti FFS (Front des Forces Socialistes), s’est vu adresser un avertissement par sa tutelle hiérarchique. Celle-ci lui reprocherait officiellement de ne pas avoir assisté à la visite du candidat Abdelaziz Bouteflika, lors de son passage dans la ville (Tizi Ouzou, près d’Alger), pour s’en prendre, en fait, à ses activités militantes.

C’est donc une Algérie sans illusions qui se rendra aux urnes jeudi. « Le problème aujourd’hui, c’est l’absence de confiance entre les représentants de l’Etat et les citoyens. Les groupes prônant l’extrême violence seront probablement en mesure de recruter tant que l’espoir de la jeunesse continuera à diminuer », analyse Khadija Mohsen-Finan, de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Le pays est quelquefois secoué par des barrages routiers mettant aux prises forces de l’ordre et jeunes désœuvrés. En janvier dernier, des affrontements violents ont éclaté entre la police et des jeunes venus manifester contre l’offensive israélienne à Gaza, le défilé ayant glissé en protestation anti-gouvernementale où des slogans favorables à l’établissement d’un Etat islamique ont notamment été entendus.

Car l’enjeu de ce scrutin reste avant tout la place des islamistes dans le jeu politique. L’un des candidats représente l’islamisme modéré et est un challenger non négligeable du président Bouteflika. La victoire certaine de « Boutef » s’appuie sur le rejet des années noires du terrorisme des années 1990, son électorat étant composé de nombreux citadins laïques. Un soutien qui, pour ne pas s’étioler, nécessitera que le régime s’attaque aux problèmes économiques structurels en Algérie. Le président-candidat a d’ailleurs promis de consacrer 150 milliards de dollars au redressement de l’économie non-pétrolière, au logement, et aux infrastructures. « Incha’llah »…

Antony Drugeon, le 8 avril 2009

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