La censure du cinéma sur la sellette en Israël

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La ministre de la Culture et des Sports Limor Livat s’en est pris la semaine passée à la censure des films israéliens, ouvrant la voie à une libéralisation d’un secteur sur lequel le Bureau israélien d’Evaluation des Films, rattaché à son ministère, a encore un droit de regard. Une ouverture qui si elle concrétise intervient à contre-courant des contextes des pays voisins.

L’annonce de Limor Livat a fait l’effet d’une surprise, mercredi 27 mai, dans une conférence de presse à Jérusalem. « J’ai décidé de proposer que l’on supprime l’autorité du Bureau des films en matière de censure », a-t-elle ainsi déclaré.

La ministre (Likoud) avait déjà soutenu une initiative semblable en 2005, en tant que députée. Le projet de loi avait été envoyé aux calendes grecques avec la convocation d’élections législatives anticipées. Quatre ans plus tard, Limor Livat a ainsi rappelé sa détermination à mettre fin à la censure, décrivant cette réforme comme une « question de devoir ».

La possibilité de visionner librement les films mis à l’index sur Internet et des décisions du Bureau d’Evaluation des Films de plus en plus contestées, y compris par la Cour Suprême, ont clairement contribué à rendre obsolète le rôle du censeur.

« L’autorité du Bureau des Films a été sapée au cours des dernières années par la Cour Suprême, ainsi que par les avancées technologiques qui permettent de visionner des films sur Internet sans contrainte », a ainsi justifié Mme Livnat, ajoutant « Cela rend la censure d’autant plus hors de propos ».

Face à ce projet, le réalisateur israélien Mohamed Bakri ne cache pas sa satisfaction. « J’espère que cela va se faire », déclare le producteur et réalisateur du film « Jénine Jénine » (2002), contacté par Guysen. Arabe, il considère « évident » que la censure des films israéliens soit « un outil de discrimination à l’égard des Arabes israéliens ». Son film documentaire avait défrayé la chronique pour avoir représenté des massacres de palestiniens par l’armée israélienne dans le camp de réfugiés de Jénine. Finalement, la Cour Suprême a cassé  en octobre 2004 la décision de censure du film, arguant que « le fait de ne pas montrer es deux point de vue d’une même histoire » ne constituait pas une base suffisante pour censurer un film, fût-il « de propagande ».

Une victoire que Mohamed Bakri ne savoure pas. « Je suis aujourd’hui encore boycotté par les cinémas », se plaint-il, désignant sans hésiter « des instructions politiques venues d’en haut ».

La décision de la Cour Suprême rappelle que la censure en Israël demeure encadrée par la Justice. Une particularité propre à un Etat de droit qui fait encore figure d’exception dans la région.

Le 16 février dernier, au Liban, le film « Help » s’est vu retiré son autorisation dûment obtenue en juillet 2008, trois jours seulement avant sa sortie en salle. Une décision que ne comprend pas son réalisateur, Marc Abi-Rached, qui y voit une interdiction prise « non pas sur la base de quoi que ce soit de légal, mais sur des éléments d’opinion personnelle », interrogé par Guysen.

« C’est la première fois dans l’histoire du cinéma libanais qu’une licence est accordée puis ensuite révoquée », dénonce le réalisateur. Le film, qui traite de l’homosexualité et de la prostitution, est clairement censuré pour son auteur « pour des raisons morales », mais « la censure politique existe aussi ».

Le film français « Persépolis » (2007) co-réalisé par la Franco-iranienne Marjane Satrapi et le Français Vincent Paronnaud avait ainsi été interdit au Liban, dans un geste manifestement destiné à ménager la communauté chiite libanaise, de même que le film américain « Syriana » (2005), dans lequel apparaissent des terroristes membres du Hezbollah, d’obédience chiite.

En Egypte, la censure cinématographique est « inexistante », selon Achraf Nehad, journaliste et critique de film à Al-Ahram, répondant à Guysen. Le journaliste du quotidien proche du pouvoir dresse le portrait d’une Egypte débarrassée de toute forme de censure, « à l’exception du président Hosni Moubarak, que l’on n’a pas le droit de représenter dans les films », concède-t-il.

L’exclusion du film « Whatever Lola wants » (réalisé par le Marocain Nabil Ayouch, 2008) du festival international de cinéma d’Alexandrie serait « différente » d’un cas de censure, selon Achraf Nehad. « Ce film montrait un visage détestable de l’Egypte, injuste… Cette décision n’a rien de politique », argumente-t-il.

« Il n’y a aucune ligne rouge à ne pas transgresser dans le cinéma égyptien», assure-t-il. Le film « L’immeuble Yacoubian » (2006) réalisé par Marouane Ahmed et adapté du roman à succès de l’écrivain Alaa El Aswany a lui échappé de peu à la censure. « Il parlait d’homosexualité », justifie une nouvelle fois Achraf Nehad.

Dans ce contexte, le Moyen-Orient témoigne d’un fort attachement à certaines lignes rouges qui ne sauraient être trangressées. Israël, s’il adopte la réforme appelée de ses vœux par Limor Livnat, manifesterait son attachement aux standards des pays occidentaux et se démarquerait de ses voisins.

Il n’en demeure pas moins que la proposition de la ministre israélienne épargne le droit de censure exercé par l’armée en Israël, lequel demeure intraitable en ce qui concerne certaines questions stratégiques, comme l’évocation de la bombe nucléaire israélienne.

La question de la censure du cinéma témoigne de la position particulière d’Israël, pays balançant entre l’Occident lointain et le Moyen-Orient voisin.

Par Antony Drugeon, le 1er juin 2009

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