Essai
L’économie ne ment pas, Guy Sorman, éditions Fayard, 2008.
Ode au libéralisme
On croyait l’économie en plein désarroi face aux crises à répétitions. Pas du tout selon Guy Sorman, qui affirme la victoire du courant libéral.
L’économie, longtemps présentée comme la plus scientifique des sciences humaines, est régulièrement dépeinte comme en plein désarroi. Les théories libérales ou interventionnistes auraient montré leurs limites, et seraient en pleine synthèse. Une vision rejetée vivement par l’essayiste français Guy Sorman, qui tente ici une réhabilitation tonitruante du libéralisme, qui selon lui se confond désormais avec l’économie. «L’économie est désormais une science» plaide-t-il. Science exacte nourrie de chiffres, dont «l’objet est de distinguer entre les bonnes et les mauvaises politiques». Multipliant les références aux figures majeures de la science économique, plus ou moins célèbres, l’ouvrage se lit davantage comme un essai que comme un manuel d’économie, privilégiant la fluidité de l’argumentation à la démonstration méticuleuse.
Totalitarisme vert ?
C’est ainsi que l’auteur brocarde l’intervention de l’Etat dans l’économie, désormais reconnue par tous comme «inefficace et soumise à des intérêts électoraux», ou bien justifie la lutte contre l’inflation si souvent décriée, notamment en Europe. L’ouvrage a également le mérite de traiter, au-delà des questions purement économiques, des fondements philosophiques du libéralisme, en empruntant à de nombreux auteurs. L’individualisme de l’Occident chrétien y est ainsi présenté comme le fondement de la société par contrat, cadre nécessaire de l’essor économique, tandis que la société judéo-musulmane traditionnelle ferait reposer les relations économiques sur des liens familiaux et communautaires. La réflexion renouvelle également le débat sur l’interdépendance de l’économie de marché et de la démocratie, ou encore sur la rationalité des acteurs. Quitte à déranger, en démontrant que les riches divorcent moins que les pauvres «parce qu’ils ont davantage à y perdre», que la criminalité s’explique par un arbitrage intérêt/coût des plus rationnels aussi, ou encore que la légalisation des drogues serait une bonne mesure du point de vue économique comme politique.
Le livre explore en outre les ressorts du développement des pays émergents tels que la Turquie, l’Inde, la Chine, la Russie et le Brésil, comme autant de pierres à rajouter à son édifice, et qui introduisent le lecteur dans les ressorts trop souvent méconnus du développement économique de ces pays émergents. Dense, l’ouvrage se penche en outre sur l’écologisme et le spectre du «totalitarisme vert», analysant les limites économiques de la politique de lutte contre le réchauffement climatique.
Mais ce que l’ouvrage a gagné en clarté, il l’a sans doute perdu en rigueur. Guy Sorman a l’audace d’attaquer les «mythes révolutionnaires», mais il privilégie quelquefois une approche si doctrinale qu’elle tombe également dans l’idéologie. Les argumentations, bien que brillantes et chiffrées, auraient gagné à être nuancées, là où souvent l’auteur présente ses affirmations comme reconnues par tous les économistes, même les plus polémiques. Le très controversé Milton Friedman est ainsi présenté comme celui qui a fait le consensus dans la science économique contemporaine.
Libéralisme, avant-gardisme ?
Le principal reproche auquel s’expose L’économie ne ment pas est d’ordre lexical : à confondre (volontairement) économie, libéralisme, et capitalisme, l’ouvrage défend la thèse que l’économie est une, qu’un seul système est valable. Si la faillite du système socialiste soviétique fait en effet peu de nostalgiques, l’économie de marché est en revanche loin d’être monolithique. L’auteur passe sous silence la diversité des capitalismes (anglo-saxons, rhénans/sociaux-démocrates, nippons, etc.) et n’admet les réserves à l’égard du libéralisme anglo-saxon, telles que le rôle de l’Etat dans l’économie, notamment par l’Etat-Providence, que de façon détournée.
Il est en outre troublant que le livre n’aborde pas frontalement les reproches qui sont faits au libéralisme dans le contexte des crises financières à répétition que connaît le monde depuis les années 80, et en particulier la crise des subprimes depuis un an. «Les bénéfices globaux des nouveaux instruments financiers ont dépassé les coûts. Le débat, subsidiaire, ne porte que sur le degré de transparence et de réglementation nécessaire au bon fonctionnement de ces nouveaux marchés financiers» écrit ainsi l’auteur.
Mais c’est précisément le choix de s’inscrire en porte-à-faux avec le discours ambiant hostile à la mondialisation qui structure cet ouvrage iconoclaste, qui revendique l’accroissement des inégalités en contrepartie de la réduction de la pauvreté. Un choix élitiste, d’un auteur qui conspue «les journalistes et les politiciens fascinés par les mini-crises de conjoncture et les cycles courts» et qui assume clairement sa préférence pour le modèle libéral américain. Un modèle qui a fait les preuves de sa supériorité selon lui, mais que peinent encore à admettre les politiques économiques et les opinions publiques : «un décalage caractéristique de tout changement de paradigme».
Antony Drugeon, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, 26 août 2008
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