La paix par l’économie chère à B. Netanyahou appelée à sortir du flou

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Slogan de campagne du candidat de droite Benyamin Netanyahou, puis mot d’ordre du Premier Ministre qu’il est depuis le 31 mars, la paix par l’économie suscite autant d’espoirs que de méfiance. Une ambigüité qui a fait son succès auprès d’un électorat réticent à toute idée d’Etat palestinien, mais qui n’a pas résisté à l’épreuve du pouvoir. Le centre Pérès pour la paix est venu sommer le gouvernement israélien de se hâter à mettre en œuvre des mesures concrètes. Effet possible des pressions de l’administration Obama, le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël a même confié cette tâche à Adi Ashkenazi, qui préconise parallèlement l’établissement de frontières permanentes, et de négocier le sort de Jérusalem et des réfugiés palestiniens.

05h30, des ouvriers palestiniens font la queue au check-point de Qalqilya. Photo : Antony Drugeon (CC)
05h30, des ouvriers palestiniens font la queue au check-point de Qalqilya. Photo : Antony Drugeon (CC)

Ahmad, 43 ans, patiente. La file d’attente, s’étire, interminable, dans la fraîcheur matinale. Il est 5h30 du matin et déjà le check-point de Qalqilya (nord-ouest de la Cisjordanie, frontalier d’Israël) est « assiégé » par une file d’un bon demi-kilomètre. Ahmad réserve sa place dans le lent défilé et va prendre un second café, après celui ingurgité au réveil dans sa garçonnière en ville. « Toute la semaine je dors à Qalqilya, je laisse ma femme et mes 6 enfants à Naplouse », explique-t-il, « pour pouvoir traverser le check-point assez tôt ». De l’autre côté, il prendra un taxi pour rejoindre son chantier, à Tel-Aviv. « Le soir je dois être rentré avant 19h, sinon je perds mon autorisation de travailler », rajoute-t-il, las.

Les travailleurs palestiniens migrant chaque jour vers Israël sont au cœur des « obstacles bureaucratiques au développement de l’économie palestinienne » longtemps brocardés par Benyamin Netanyahou. Devant les grilles du check-point, Sharen Green, activiste britannique de l’ONG Ecumenical Accompaniement Programme in Palestine and Israel (EAPPI), en témoigne : « Il y a huit files dans le check-point, mais les militaires n’en ouvrent que deux ou trois ». La traversée du check-point peut ainsi prendre quatre heures, « trois heures et demie quand les contrôles se relâchent », précise Sharen. Ce sont ainsi entre 3.200 et 4.000 travailleurs, hommes pour la plupart, qui participent à ce rituel matinal.

05h30, des ouvriers palestiniens font la queue au check-point de Qalqilya. Photo : Antony Drugeon (CC)
05h30, des ouvriers palestiniens font la queue au check-point de Qalqilya. Photo : Antony Drugeon (CC)

Le soir, après avoir quitté leur chantier, situé parfois tout au nord ou au sud d’Israël, les ouvriers ouvrent un autre rituel. A leur descente de taxi, ils se mettent à courir pour passer avant l’heure fatidique de 19h, la carte magnétique ne laissant pas le droit à l’erreur.

Candidat du Likoud aux dernières élections législatives de février 2009, Benyamin Netanyahou se distinguait des autres candidats par un plan de paix éludant la question d’un Etat palestinien, mais insistant sur la levée des « restrictions bureaucratiques pesant sur l’économie palestinienne » tout en « [restant] dans le cadre des contraintes de sécurité existantes ». Une tactique clamée à nouveau haut et fort le 11 mai dernier en Conseil des ministres par un Premier ministre encore fraîchement investi, et qui permettait à « Bibi » de cultiver une voie médiane entre indépendance des Palestiniens et jusqu’au-boutisme nationaliste. L’idée, faute de séduire les Palestiniens et leurs soutiens, s’adressait plutôt à l’ « Occident ». L’Autorité palestinienne a en effet rejeté régulièrement la proposition de « paix par l’économie », y voyant une tactique dilatoire.

Communication politique

Sharen Green affiche de même sa défiance : « Je doute de la sincérité de la démarche, [Benyamin Netanyahou] n’a rien fait quand il était déjà Premier ministre [de 1996 à 1999, NDLR] ». Shar Ever, économiste à l’Alternative Information Center (AIC, ONG israélienne pacifiste), dénonce quant à lui une diversion « vieille de plusieurs années déjà », assurant que « tant que dure l’occupation, aucune économie palestinienne ne peut se développer ». Il n’attend rien des gestes consentis jusque-là par le gouvernement. « De légers retraits, quelques suppressions de check-points, ne suffisent pas. Le mur demeure l’obstacle prioritaire », argumente-t-il. La situation des travailleurs palestiniens tels qu’Ahmad est selon lui occultée par ces effets d’annonce. « Les travailleurs palestiniens ont le droit d’entrer librement en Israël », explique-t-il, invoquant l’accord de Paris de 1994, annexe des accords d’Oslo.

La paix par l’économie, au-delà d’un nom relativement consensuel, suscite donc la méfiance du camp pro-palestinien. La faute à une absence de propositions claires sous la bannière de ce qui reste encore un slogan. De l’avis d’une journaliste de Jérusalem, spécialisée en économie, il ne faut y voir pour le moment que communication politique : « Ce n’était jusque-là qu’une annonce, rien n’indique qu’elle soit suivie d’effets ».

Faire lever les restrictions administratives pesant sur l’économie palestinienne : le leitmotiv de Benyamin Netanyahou a trouvé dans les évacuations d’ « avant-postes » (colonies sauvages, non autorisées par le gouvernement israélien) et de check-points consécutives aux pressions de l’administration Obama un début de réalisation. La presse israélienne n’a pas manqué de saluer alors les efforts consentis en faveur de la paix et leur bienfaits économiques.

Sans doute est-il permis d’y lire une réponse au rapport du Fonds Monétaire International (FMI) sur l’économie palestinienne publié le 4 juin dernier, accablant pour Israël. L’organisme a conclu en effet que le développement des Territoires palestiniens « reste entravé par les restrictions imposées par Israël sur le commerce et les déplacements dans les territoires occupés de Cisjordanie et par l’isolement croissant de la bande de Gaza ».

Mais une source proche de Silvan Shalom, vice-Premier Ministre israélien et ministre du Développement régional, en charge de ces questions, réoriente quant à lui le sens attribué à « la paix par l’économie ». « Ce sont un ensemble de projets industriels menés conjointement avec les pays arabes de la région », répond-t-elle. « Et avec les Palestiniens ? » ? «Voire avec les Palestiniens », répond-t-elle alors.

Le 14 juin, Benyamin Netanyahou a précisé les contours de sa politique de paix dans un discours capital. Il n’a que peu mentionné la paix par l’économie.  « Si les Palestiniens optent pour la paix […], nous ferons tous les efforts pour faciliter leur liberté de mouvement, et pour leur permettre de développer leur économie », avait sobrement déclaré Benyamin Netanyahou. Là encore, le Premier Ministre israélien a été plus prolixe sur la question des relations économiques entre Israël et les Etats arabes.  Benyamin Netanyahou a ainsi proposé aux pays arabes de « coopérer avec les Palestiniens et nous [les Israéliens], pour promouvoir une paix fondée sur la croissance économique », vantant la réussite économique des pays du Golfe et proposant de créer des zones industrielles porteuses de milliers d’emplois. « Ensemble, nous pouvons entreprendre des projets susceptibles de surmonter les pénuries de notre région […], d’en maximiser les atouts […] et les moyens de transport », a-t-il ainsi proposé.

« Les Palestiniens ne cèderont pas »

La paix économique vise-t-elle les Palestiniens, et plus précisément la Cisjordanie, ou bien les Etats arabes voisins, comme l’Egypte, la Jordanie, voire à terme la Syrie et le Liban ? Face à un tel flou, le rapport du Centre Pérès pour la Paix est venu début août rappeler les dirigeants israéliens à l’ordre, en délivrant un diagnostic lapidaire : « La paix économique ne remplace pas une solution politique ». L’étude de l’organisme portait précisément sur le rôle que la paix économique pouvait jouer dans la résolution du conflit israélo-palestinien, et cherchait à « remplacer les généralités par lesquelles le terme de “paix économique“ est habituellement décrit ».

Présenté à la suite d’une rencontre officielle à Tel-Aviv entre Silvan Shalom et le ministre palestinien de l’économie, Bassim Khoury, le rapport a bénéficié d’un écho décuplé. Les conclusions des rapporteurs, selon lesquelles une troisième intifada pourrait bientôt se déclencher, et que la paix par l’économie, quoique nécessaire et utile, ne puisse se passer d’une solution politique, a créé un petit séisme politique. « Peu importe l’ampleur de l’amélioration des conditions économiques, les Palestiniens ne cèderont pas sur les questions clefs du droit de retour, de Jérusalem et de frontières permanentes », a ainsi prévenu Adi Ashkenazi, co-auteure du rapport, en évoquant des questions taboues chez la plupart des Israéliens.

L’étude du Centre Pérès pour la Paix délivre même un programme d’action en cinq points, donnant corps à un slogan jusque-là vide : l’emploi des Palestiniens en Israël, le développement de zones industrielles en Cisjordanie, l’ouverture du commerce, l’amélioration des infrastructures et l’investissement dans le tourisme.

De quoi  donner corps à une politique toujours chère à Benyamin Netanyahou. Le 2 août, lors d’une visite très médiatisée au pont Allenby (poste frontière israélo-jordanien, en Cisjordanie occupée), « Bibi » a vanté les mérites de sa politique d’ouverture économique, se targuant d’être à l’origine d’un taux de croissance économique de 7% en Cisjordanie.

Des propos pour l’heure vides de fondement politique clair, mais qui pourraient annoncer que la paix de l’économie est sur le point de passer du slogan à un début de réalisation. D’autant plus qu’Adi Ashkenazi a été promue au ministère de la coopération régionale, sous l’aile de Silvan Shalom. A Qalqilya, Sharen Green reconnaît que depuis plusieurs semaines, la file d’attente se réduit quelque peu : « Au check-point, les militaires sont moins regardants », explique-t-elle, sans savoir si cela vient directement des instructions du gouvernement.

Pour convaincre, la paix pour l’économie devra faire taire ceux qui l’accusent d’être un ersatz d’Etat palestinien. Redressement économique de la Cisjordanie (Gaza restant jusque-là exclue de cette politique) et création d’un Etat palestinien devront aller de pair pour convaincre tant la communauté internationale que les Palestiniens. L’électorat du Likoud (droite) qui a porté Benyamin Netanyahou au pouvoir, et celui du désormais incontournable Israel Beiténou (Israël est notre maison, extrême-droite), pourraient bien toutefois se sentir floué, alors que la paix économique a été largement comprise comme une alternative à un Etat palestinien encore largement refusé.

Pas suffisante pour régler un conflit israélo-palestinien focalisé autour de l’horizon de la création d’un Etat palestinien, la paix par l’économie n’en est pas moins nécessaire à la viabilité de cet Etat virtuel : le Fonds Monétaire International a estimé le 4 juin dernier que le développement économique des Territoires palestiniens « reste entravé par les restrictions imposées par Israël sur le commerce et les déplacements dans les territoires occupés de Cisjordanie et par l’isolement croissant de la bande de Gaza ».

Les négociations de paix israélo-palestiniennes semblent désormais promises à marcher sur leurs deux jambes, économiques et politiques. Si le gouvernement israélien ne trébuche pas.

Antony Drugeon, REVUE AVERROES, le mercredi 12 août 2009


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