La Kahina, une figure mythique et pourtant méconnue

Antony DRUGEON

Animateur de communauté associative

Fév 18, 2007
La Kahina, une figure mythique et pourtant méconnue

Être à la fois un mythe, et une anecdote oubliée de l’Histoire : tel est le paradoxe de la Kahina, selon Gisèle Halimi.

La célèbre militante des droits de la femme consacre en effet son dernier ouvrage à la Kahina, et à l’ambiguïté de ce personnage à la notoriété équivoque. Femme guerrière, reine, au destin hors norme, elle est devenue une figure mythique incontournable dans l’imaginaire berbère. Mythe, et par là même détail anodin : tel est le sort qu’a subi la Kahina, selon Gisèle Halimi. « Les historiens ont toujours minimisé son épopée » dénonce l’avocate, visant directement « l’Histoire officielle enseignée dans les pays maghrébins, incapables d’assumer leur amazighité« . Car l’aura mythique, prévient-elle, ne compense pas cette situation : glorifiée, mythifiée, la Kahina ne fait plus peur, comme « extraite de tout lien, de toute prise avec le monde« . La Kahina, explique Gisèle Halimi, ne peut être comprise que par une analyse approfondie, qui se détache tout autant du mythe, issu de l’imaginaire collectif, que du détail historique qu’en fait l’Histoire officielle du vainqueur.

Mais la résistance berbère à l’invasion arabe conserve ses lettres de noblesse jusqu’à aujourd’hui malgré le travail de sape de l’Histoire officielle précisément. Née au VIIIe siècle, dans une tribu de Berbères nomades, c’est-à-dire dans un milieu éminemment patriarcal, La Kahina parvient peu à peu à s’imposer et à prendre le pouvoir, pour porter la puissance de son peuple à son comble. Triomphant là où d’autres ont échoué, elle unit les Berbères nomades, puis les Berbères sédentaires. Et défait l’armée du général arabe Hassan. Lui qui se demandait encore avant de l’affronter, précise, mutine, Gisèle Halimi : « Vaincre une femme s’appelle-t-il vaincre?« . Cette « Jeanne d’Arc berbère, nord africaine » a séduit Gisèle Halimi dès son enfance : « J’ai longtemps attendu avant d’écrire ce livre, sur ce personnage que je portais en moi depuis l’enfance », explique l’écrivaine et avocate. L’ouvrage se veut donc bien documenté, pour approcher au plus près de la réalité du personnage; la littérature en la matière demeurant bien maigre. « Ibn Khaldoun, qui est peut être celui qui a le plus écrit sur la Kahina, n’y consacre pas plus que quelques lignes » précise Gisèle Halimi.

Quoi qu’il en soit, le personnage fascine nécessairement, au moins pour l’espoir qu’il représente pour la cause féministe. « La Kahina réunit toutes les libertés dont les femmes peuvent rêver« , poursuit Gisèle Halimi. Liberté sexuelle notamment sur laquelle s’attarde l’écrivain, mais aussi liberté religieuse et liberté politique, dans une période où le poids de la religion était normalement très pesant notamment à l’égard des femmes. La Kahina, fille unique du roi de sa tribu, subit dès son enfance l’impression de ne pas exister du fait de son sexe; parvient à échapper au monde typiquement féminin, en allant à la chasse, en refusant les tatouages féminins, préférant des motifs plus virils. Elle parvient peu à peu, ainsi, à faire accepter son autorité sur l’ensemble de la tribu. S’appuie sur la religion, juive en l’occurrence, davantage pour asseoir son autorité que par conviction semble-t-il. Mais, contrairement à ce qui a pu être dit quelquefois, elle ne verse jamais dans le fanatisme religieux, même lors de l’invasion de l’islam.

Elle fait même preuve d’ouverture, choisissant ainsi pour mari Khaled, un Arabe, et musulman. Ce faisant, elle enfreint une loi berbère interdisant les mariages mixtes. Preuve ultime de son affranchissement envers la tradition, tout comme elle avait d’ores et déjà eu deux enfants de deux lits très différents, ignorant les prescriptions morales de son temps quand il s’agit de sa vie sentimentale et sexuelle.

Mais cette femme politique hors pair, cette grande guerrière, n’aura pas su résister éternellement face aux assauts du général Hassan. A l’heure de la défaite, elle préfère exhorter à son fils de rejoindre l’ennemi musulman et arabe, tout comme son peuple à se convertir, pour les préserver. Abnégation sage de la guerrière, qui, dans son dernier acte de bravoure, affronte son ennemi en duel, pour mourir en reine. Fin tragique donc qui sied à un destin hors norme, aventurier, avant-gardiste. Et qui permet à la Kahina de rentrer dans l’Histoire comme symbole culturel incontournable pour les Berbères du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, « mais aussi de France » tient à rappeler Gisèle Halimi. D’ailleurs, pour elle, son ouvrage est bien moins une revendication politique, ou l’expression d’un quelconque sentiment de revanche, qu’une tentative de revendiquer haut et fort l’identité culturelle berbère.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 17 et 18 février 2007

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Déc 11, 2006
Clôture du festival de cinéma de Marrakech

Clôture du festival de cinéma de Marrakech

Le combat pour la liberté primé par le jury

Le film allemand Le perroquet rouge remporte un beau succès avec le prix de l’interprétation masculine et le grand prix, l’Etoile d’Or.

La cérémonie de clôture du festival international du film de Marrakech s’est tenue samedi soir au Palais des Congrès de la ville ocre. Comme toute cérémonie de clôture et de remise de prix, elle attisait l’impatience des festivaliers et des curieux, venus nombreux assister à l’arrivée de nombreuses stars du cinéma mais aussi du petit écran. Les Marrakchis ont ainsi pu voir entrer au Palais des Congrès, le comédien Ferkous, la comédienne Mouna Fettou, qui a ouvert la cérémonie, et Jammel Debbouze, très attendu par le public et les jeunes notamment.

L’impatience des journalistes aidant, Roman Polanski, président du jury, avait donné un avant-goût des résultats, se gardant bien pour autant de les divulguer : le cinéaste s’était contenté de saluer l’engagement politique de nombreux films en compétition. Et de fait, cette année, les films récompensés sont tous porteurs d’un message politique. Le prix de l’interprétation féminine est revenu à Fatou N’Diaye, pour son rôle dans le film canadien Un dimanche à Kigali. Ce film dur sur le génocide rwandais en 1994 est une adaptation du roman de Gil Courtemanche, Un dimanche à la piscine à Kigali. Le grand prix du jury a été attribué au film roumain Hirtia va Fi Albastra (Le papier sera bleu). Ce film du réalisateur Radu Muntean évoque la révolution en 1989 contre la dictature de Ceaucescu.

Le prix de l’interprétation masculine quant à lui est revenu à Max Riemelt, pour son rôle dans Le Perroquet Rouge. Ce film a été le grand gagnant de la soirée, honoré de surcroît par l’Etoile d’Or. Max Riemelt y incarne le personnage principal, un jeune allemand de l’Est découvrant à son arrivée en ville de sa campagne natale la vie festive et moderne des jeunes, mais aussi, rapidement, la surveillance d’Etat, le contrôle des idées etdes loisirs. L’artiste y découvre l’amour interdit, apprend à se jouer de l’Etat totalitaire, vivant de contrebande. Mais l’étau étatique se resserrant rapidement, le choix se fait entre rester dans la peur ou partir pour un Berlin énigmatique et étranger. Tragiquement, le fonctionnement froid, efficace, et rusé de la machine d’Etat divise les amis, brise les couples, jusqu’à dresser un mur entre les hommes, de peur que l’échec du système idéologique qui le sous-tend. La raison d’Etat dans toute sa rigueur, son impersonnalité, peut-elle appréhender dans toute sa profondeur les aspirations, les désirs, d’êtres ayant pour seule motivation leur propre quête du bonheur ? Le film laisse à penser que non, là où les accusations de contrebande et de comportement anti-socialiste ne servent qu’un intérêt, celui des gouvernants.

Un bel hommage à la tous ceux qui résistent aux abus des pouvoirs, qui met résolument la sixième édition du festival sous le signe de la liberté.

Antony Drugeon, LIBERATION, 11 décembre 2006

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Déc 4, 2006
L’exposition du voyage intérieur

Exposition « Amour et méditation», contre le Sida.

L’exposition du voyage intérieur

Ahmed El Amine expose des œuvres tout en sensibilité et pudeur sur les autres, dans un esprit teinté de soufisme, et se mobilise ainsi contre le Sida.

Le soufisme s’invite en force dans les tableaux d’Ahmed El Amine. Ce peintre amoureux de la quête perpétuelle du style comme de la technique expose actuellement ces œuvres au café Amphytrium de Casablanca, avec cette inspiration soufie revendiquée : les tableaux, tout en retenue, en discrétion, semblent des songes échappés de l’esprit méditatif de leur auteur. Clairement, les personnages, en cercle, vêtus de façon ample, asexués, communiquent une impression de solidarité tranquille, la cohésion de tous se faisant comme par évidence, sans heurts ni relation de pouvoir. L’être est là, avec sa dignité, sa retenue, sa différence aussi. Petits ou grands, plutôt hommes ou femmes, tous finissent par fusionner en bas de tableaux en une seule étoffe, impression accentuée par la peinture ou les traces d’eau coulant volontairement. Les couleurs, chaudes, mais opaques, invitent à voyager, peut-être jusqu’en Afrique, au moins jusqu’à Marrakech. Variations de couleurs ocres, toutes homogènes, les tableaux dessinent un univers en soi, où la vitesse est inconnue, où l’ode à la douceur est permanent. A l’unisson en se tenant par les bras, créant un cercle de pureté par leur entente, ou se faisant face comme pour se chercher, ces personnages indistincts et pourtant pluriels posent la question du vivre-ensemble. Vivre ensemble possible dans le recueillement, le respect, l’humilité.

Mais deux périodes, deux inspirations s’affrontent dans cette même exposition. D’autres toiles, plus lumineuses, aux couleurs froides et vives, vont encore plus loin dans la dépersonnalisation des personnages. Formes géométriques et grands aplats de couleur s’articulent pour suggérer des visages, des corps, des situations. Le visiteur est laissé libre de donner à la toile son sens, et même son titre.
Le baiser, les couples sur des bancs, la femme avec son enfant, sont autant de figures éternelles et innocentes où la sensualité et l’imagination du visiteur s’exprimeront avec liberté, le peintre revendiquant fièrement le rôle actif du spectateur dans la peinture.
Une position plus que jamais d’actualité puisque cette exposition se donne une ambition sociale, à laquelle le visiteur est invité à participer lui-même. En effet, 20% du prix de chaque œuvre est reversé à la fondation Sida Entreprises Maroc, plate-forme d’entreprises œuvrant à la lutte contre le Sida au côté de l’ALCS (Association de Lutte Contre le Sida), et qui a déjà, à son actif, la réalisation de formation de pairs éducateurs dans les entreprises pour y faciliter la sensibilisation au sein du monde du travail. Le nom de l’exposition, Amour et méditation, renvoie donc autant aux sujets évoqués qu’à la démarche. A méditer.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 4 décembre 2006

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Oct 15, 2006
Tariq Ramadan interroge la pratique religieuse

Compte-rendu de la conférence « Islam et culture » donnée par Tariq Ramadan, le samedi 7 octobre 2006 à Casablanca.

Le centre culturel Sidi Belyout à Casablanca a accueilli samedi dernier Tariq Ramadan, qui à l’occasion de la sortie de son livre Vie du prophète Muhammad a tenu une conférence sous le thème de « équilibre entre matérialité et spiritualité à la lumière de la vie du prophète ». L’occasion pour lui de mettre en garde contre une pratique de la religion purement formelle, vidée de son sens spirituel. Face à un auditoire d’environ 300 personnes, le professeur d’islamologie est revenu sur des épisodes de la vie de Mahomet, pour souligner que chaque détail de l’existence même en apparence insignifiant peut se révéler utile à la propre réforme de l’individu par la suite. Tariq Ramadan a donc défendu sa vision du musulman comme étant celle d’un individu faisant toujours un travail sur lui-même pour chercher le sens de son existence. Rappelant que le ramadan fut pour Mahomet un exil intérieur, il a exhorté l’auditoire à ne pas voir dans le ramadan qu’un jeûne, insistant sur la pureté des actes et des sentiments également. « Malheureusement nous sommes trop formalistes » a-t-il regretté, craignant que le ramadan ne devienne une période de festivités et de festins comme Noël, au détriment de la valeur spirituelle du rite. Tariq Ramadan a défendu ce retour sur soi à fin responsabilisation. « L’islam n’entretient pas la victimisation, mais plutôt la responsabilisation » car si la religion, du point de vue formel, trace la frontière entre le bien et mal, et donc permet de juger, du point de vue spirituel, en revanche, le pratiquant est invité à « trouver 70 excuses à son frêre » pour lui pardonner. Cette dialectique entre le jugement (‘adl) et l’amour de Dieu (ihssane) est trop souvent déséquilibrée du côté du jugement, estime Tariq Ramadan.

L’auditoire, attentif, a semblé estimer au plus haut point l’intervention. Au moment des questions, de nombreux intervenants ont évoqué les problèmes de mésentente entre l’islam et l’Occident. Tariq Ramadan, qui revendique son rôle de pont entre les deux, a mis en garde contre le « piège de la polarisation » en deux blocs. Invitant les musulmans à ignorer les provocations comme les caricatures danoises de Mahomet, il a souligné le rôle contre-productif joué par les réactions émotives et excessives de certains musulmans. Concernant les récents propos du papa sur l’islam, il a défendu une position relativement originale puisqu’il n’a pas vu dans les propos de Benoît XVI d’agression vis-à-vis de l’islam à l’exception d’une autre partie de ce même discours qui considère l’Europe comme exclusivement chrétienne et grecque. Or selon lui la population musulmane en Europe aura doublé dans 50 ans, et l’islam ne peut donc continuer à être perçu comme extérieur à l’occident. S’il a refusé que la religion musulmane puisse être qualifiée de violente par essence, il a invité les critiques de l’islam à se pencher sur les sources des violences avant de les juger. Une façon de défendre, à côté de l’idée de justice, celle de justesse. Comprendre avant de juger.

Antony Drugeon, LIBERATION, 14 & 15 octobre 2006

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Oct 7, 2006
Entretien avec Tariq Ramadan

A l’occasion de sa conférence « Islam et culture » tenue à Casablanca le 7 octobre 2006

Entretien avec Tariq Ramadan

Libération : Vous vous réclamez d’un islam réformiste mais certains vous accusent de vouloir « islamiser la modernité ». Quel est votre projet réformiste ?
Tariq Ramadan : Il faut commencer par déconstruire ces questions elles-mêmes. Car poser le débat en ces termes, c’est opposer les deux notions, islam et modernité. Ce qui suppose que l’un des deux doit l’emporter sur l’autre. Mais c’est une hypothèse scientifiquement fausse, historiquement non-fondée, et absolument non vérifiée dans l’expérience. Je travaille simplement à aider les musulmans en Occident à être eux-mêmes, mais en France particulièrement l’intégration est synonyme de renoncement à ses origines. Être soi-même, rester musulman, ce serait participer à l’islamisation du pays ! Or on peut très bien être à la fois européen et musulman. Il faut admettre que chaque tradition peut mener à l’universel, qu’il n’y a pas nécessairement de conflit entre les visions du monde musulmanes et européennes. Les points communs entre les deux sont nombreux, et conduisent à l’entente mutuelle ; les cas de conflit entre les principes du pays d’accueil et ceux de la culture musulmane, comme le cas du foulard, sont rares, mais ils supposent une adaptation. Après tout, l’islam peut s’accommoder des différences culturelles locales. Beaucoup de musulmans croient que l’unicité de l’islam signifie l’uniformisation. Pas du tout ! La seule exigence que j’ai vis-à-vis des pays occidentaux, c’est de leur demander le droit d’être soi-même. La charia, ce n’est pas comme on le dit souvent en Europe un code pénal précis et rigide, mais c’est aussi et surtout un corpus de valeurs, de principes que l’on doit se choisir en accord avec sa société.

Libé : Vous avez récemment critiqué les propos du pape comme une nouvelle provocation à l’égard des musulmans, après l’affaire des caricatures de Mahomet. Mais n’y a-t-il pas une distinction à faire entre la critique de l’islam par la droite européenne populiste et l’attitude d’une certaine gauche européenne et française en particulier, avec le journal français Charlie Hebdo par exemple, dont la culture politique est hostile à l’idée même de religion, ce qui ne vise donc pas exclusivement l’islam ?
TR : La tradition politique de la satyre est effectivement une réalité de l’histoire de la gauche en France. Mais je ne pense pas que Charlie Hebdo (journal satyrique français qui avait publié les caricatures de Mahomet, et poursuivi en justice par des associations musulmanes, NDLR) s’inscrive dans cette tradition. C’est une évolution récente, mais la direction de Charlie Hebdo est animée d’un souci de la provocation perpétuelle et systématique, c’en est presque obsessionnel. Les propos de Philippe Val et de Caroline Fourest sont racistes, il n’y a pas de respect des personnes dans leurs discours. Je préfère ignorer ces gens, plutôt que de leur faire de la publicité en les poursuivant en justice. Je n’ai pas de respect intellectuel pour eux.

Libé : Votre conférence porte sur les liens entre culture et spiritualité. Ne peut-on parler de mélange des genres entre la culture arabe et la religion musulmane ?
TR : Bien sûr, et c’est une confusion problématique. La langue arabe n’est que le média, le vecteur du message de l’islam, mais cela suffit pour instituer l’idée selon laquelle le « meilleur » islam serait celui des Arabes. Beaucoup d’exégèses ont été faites à partir de la culture arabe. Mais c’est faux, la culture arabe n’est pas la culture de l’islam. Quelquefois, la culture arabe s’oppose même aux principes de l’islam, ou devient le prétexte, la justification de pratiques au nom de l’islam. Car le texte étant en arabe, on est facilement tenté par des interprétations littérales. Mais si l’islam est universel, les cultures elles sont relatives. Il faut donc savoir être critique sur toutes les cultures et en prendre le meilleur. Par exemple, si la pudeur est le principe universel défendu par l’islam, elle peut connaître des modalités d’application différentes selon les cultures. Ainsi le noir est la couleur de la pudeur pour les Arabes, mais pour les Africains on peut parfaitement porter des vêtements très colorés et être pudique.

Libé : Le rapport à la femme est-il un autre exemple de prégance de la culture arabo-méditerranéenne sur l’islam à proprement parler ?
TR : Tout à fait. L’approche culturelle projette des choses dans la religion telles que la violence conjugale, les mariages forcés, l’excision, alors que ce sont des éléments absents des textes. Il faut en prendre conscience et ne pas avoir peur d’évoluer sur ces questions.

Libé : Comme sur l’éventualité de l’imamat pour les femmes ?
TR : Il existe plusieurs rites en islam, actuellement le rite malikite ne reconnaît pas aux femmes le droit de conduire la prière. Cela changera peut-être un jour, après tout il est possible de regarder ce qui se fait dans les autres rites. Mais je ne pense pas qu’il faille dire au rite malikite ce qui ne va pas chez lui, tout changement doit être mûri de l’intérieur. Je souhaite que le débat se construise en interne à partir de la réalité marocaine. Mais je considère que l’imamat féminin n’est pas la question la plus importante, ce qui compte beaucoup plus c’est que des femmes soient formées et soient capables de former. C’est là une grande évolution, car elle permet de favoriser l’accès à la connaissance, de donner une opinion.

Propos recueillis par Antony Drugeon, LIBERATION, le 14 & 15 octobre 2006

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Sep 4, 2006
De Cervantès à Molière, le coeur des Marocains vacille

Derrière l’essor des cours d’espagnols, c’est toute l’Espagne qui se rapproche des Marocains.

L’engouement pour la langue espagnole se confirme, alors que le français stagne. Le Maroc n’hésite certes pas entre les sommets de la francophonie et ceux des pays hispanophones, mais force est de constater que depuis quelques années la domination de la langue française comme deuxième langue du pays est écornée. Si le français est indubitablement encore première langue européenne au Maroc, c’est surtout la progression de l’espagnol qui étonne, comparativement à la stagnation du français. En effet la langue de Cervantès séduit de plus en plus de Marocains. Par exemple, les inscriptions en cours d’espagnol au sein des Instituts Cervantès sont passées de 2.900 en 1991 à 12.000 en 2006, instituts de Tanger, Tétouan, Fès, Rabat et Casablanca réunis. Soit une progression de 300 % en 15 ans ! A titre de comparaison, les cours de français à l’institut français de Casablanca ont attirés en 2005 27.800 personnes contre 4.400 à l’Institut Cervantès de Casablanca. L’espagnol, par rapport à son importance, s’en sort donc bien sur la scène marocaine des cours de langue. Les prêts de livres pour les instituts Cervantès et Français de Casablanca concernent respectivement 14.700 personnes contre 10.000. Le David espagnol rivalise donc avec le Goliath français. Les femmes sont plus nombreuses (53,3%) à apprendre l’espagnol dans les instituts Cervantès au Maroc et les jeunes de 17 à 25 ans représentent une proportion non négligeable (35%) des étudiants de ces instituts. Par ailleurs les inscriptions en université au sein des départements de littérature espagnole ont concerné l’année dernière pas moins de 2.600 personnes, réparties au sein des cinq universités proposant ce cursus au Maroc (Rabat, Fès, Tétouan, Casablanca, Agadir).

On le voit la « présence » espagnole au Maroc n’est pas exclusivement restreinte à l’ancien Rio de Oro, Madrid ayant fait le choix stratégique de jouer la carte du Maroc. Antonio Martinez Luciano, directeur de l’Institut Cervantès de Casablanca, explique d’ailleurs : « L’Espagne a implanté onze collèges et lycées au Maroc, et avec cinq instituts Cervantès, le Maroc est le pays le mieux desservi au monde » Comment expliquer cette situation? Pour M. Luciano, la réponse est double.

De la movida à la nayda

D’une part nombreux sont ceux qui estiment que le castillan peut les aider à s’intégrer plus facilement dans le marché de l’emploi, ou à ouvrir davantage d’horizons professionnels pour ceux qui travaillent, tant le français n’est souvent plus un moyen de se démarquer sur le marché du travail. Autre explication, culturelle et politique celle-là : les Marocains s’intéressent à l’Espagne, selon M. Luciano, parce qu’ils comparent la transition que vit actuellement leur royaume avec celle qu’a connu il y a encore peu de temps cet autre royaume plus au Nord. Transition espagnole qui fut protégée des forces réactionnaires par le monarque lui-même, lors du coup d’état pro-franquiste de 1981, où le roi s’était impliqué pour le maintien de la démocratie… et transition progressive pour ne pas heurter la force du catholicisme conservateur, tout en entrant de plein pied dans la modernité et l’Europe, la nayda faisant office de movida à la marocaine. Effectivement la comparaison entre les deux Royaumes voisins est inévitable, et comme l’explique Larbi El Harti, professeur de littérature espagnole à Casablanca, car « le sentiment affectif de proximité avec un pays est un corollaire de l’apprentissage d’une langue ».

Ce qui fait dire à Antonio M. Luciano que le français stagne, voire chancelle, victime de son statut de langue incontournable au Maroc, alors que l’espagnol progresse à vitesse grand V. Un jugement qui fait se dresser Jean-Jacques Beucler, directeur de l’Institut français de Casablanca : « Que les gens apprennent l’espagnol ou l’anglais ne signifie pas qu’ils se détournent du français » Et de rappeler la force de frappe française : avec 23 établissements scolaires au Maroc, la France y scolarise plus de 16.000 élèves, dont les deux tiers sont marocains. Et de rajouter subrepticement que lors des projections de films à l’institut, il n’est pas nécessaire de mettre le sous-titrage… A l’évidence le Maroc est membre à part entière de la francophonie, il ne peut être question d’en douter. D’ailleurs, comme le précise M. Beucler, les inscriptions pour les cours de français ont encore augmenté à l’occasion du mondial de football et du remarquable parcours des Bleus. Ribéry, Zidane et Henry, meilleurs remparts défensifs de la langue française? Si la langue française ne saurait être analysée comme en déclin, mais il se pourrait bien que l’espagnol s’implante à terme comme son alternative.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 4 septembre 2006

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Juil 29, 2006
Quand la photo se laisse peindre
Antony Drugeon.
Les cartes postales désuètes revivent grâce à l'intervention du peintre. Crédit photo : Antony Drugeon

Exposition iconoclaste où la photographie apprend à se laisser peindre…

Mardi une exposition de peinture d’un genre un peu particulier s’est clôturée, puisque Ahmed Taoufiq (à ne pas confondre avec le ministre de même nom) vient juste d’exposer à Casablanca 63 toiles, toutes des reproductions de vieilles cartes postales datant de la présence française.

La démarche de reproduire des photographies en en faisant des tableaux peut paraître surprenante. Pourtant, l’idée peut s’avérer particulièrement intéressante. Prenant pour cadre le somptueux siège de la Région du Grand Casablanca, ancienne résidence du pacha, cette exposition a ainsi permis à chacun de découvrir librement les photographies jaunies, en noir et blanc, de Casablanca, où‌ l’ex-« place de France » (actuelle place des Nations Unies) à peine reconnaissable, ignorait encore le goudron.

Les visiteurs ont ainsi pu comparer leur lieu de vie quotidien avec ce qu’il avait pu être auparavant tel que les cartes postales le montraient. Mais l’apport de l’artiste est d’avoir su saisir l’essentiel de chaque photo pour en faire un tableau épuré, où une atmosphère propre est mise à l’honneur, débarrassée des mille fioritures dont sont souvent encombrées les photographies d’une ville déjà grouillante.

Toutefois les représentations de ville étaient loin d’être la seule curiosité de l’exposition, puisque de nombreux portraits permettent de saisir quelques scènes d’une vie quotidienne comme ressuscitée d’un passé oublié, et là encore l’intervention de l’artiste fait d’un portrait parfois trop peu expressif sous forme photographique un tableau saisissant. Ainsi les tenues traditionnelles et les gestes des Touaregs prennent un autre visage, sortant du regard anthropologique du photographe pour recueillir toute la chaleur des couleurs d’un peintre que l’on sent complice (nostalgique, peut-être) de l’époque de ces visages profondément humains.

Ce travail humain et humaniste est d’ailleurs l’œuvre d’un passionné de l’art pour l’art, pour qui la peinture n’est qu’un loisir, puisque ces toiles (il en a déjà réalisé 120) ne sont pas à vendre. Ayant gagné sa vie dans le textile, Ahmed Taoufiq, aujourd’hui âgé de 62 ans, n’a fait de la peinture qu’un passe-temps dénué de toute considération pécuniaire. L’exposition, gratuite, se tiendra désormais à El Jadida, durant tout le mois d’août.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 29 juillet 2006

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