Tariq Ramadan interroge la pratique religieuse

Antony DRUGEON

Animateur de communauté associative

Oct 15, 2006
Tariq Ramadan interroge la pratique religieuse

Compte-rendu de la conférence « Islam et culture » donnée par Tariq Ramadan, le samedi 7 octobre 2006 à Casablanca.

Le centre culturel Sidi Belyout à Casablanca a accueilli samedi dernier Tariq Ramadan, qui à l’occasion de la sortie de son livre Vie du prophète Muhammad a tenu une conférence sous le thème de « équilibre entre matérialité et spiritualité à la lumière de la vie du prophète ». L’occasion pour lui de mettre en garde contre une pratique de la religion purement formelle, vidée de son sens spirituel. Face à un auditoire d’environ 300 personnes, le professeur d’islamologie est revenu sur des épisodes de la vie de Mahomet, pour souligner que chaque détail de l’existence même en apparence insignifiant peut se révéler utile à la propre réforme de l’individu par la suite. Tariq Ramadan a donc défendu sa vision du musulman comme étant celle d’un individu faisant toujours un travail sur lui-même pour chercher le sens de son existence. Rappelant que le ramadan fut pour Mahomet un exil intérieur, il a exhorté l’auditoire à ne pas voir dans le ramadan qu’un jeûne, insistant sur la pureté des actes et des sentiments également. « Malheureusement nous sommes trop formalistes » a-t-il regretté, craignant que le ramadan ne devienne une période de festivités et de festins comme Noël, au détriment de la valeur spirituelle du rite. Tariq Ramadan a défendu ce retour sur soi à fin responsabilisation. « L’islam n’entretient pas la victimisation, mais plutôt la responsabilisation » car si la religion, du point de vue formel, trace la frontière entre le bien et mal, et donc permet de juger, du point de vue spirituel, en revanche, le pratiquant est invité à « trouver 70 excuses à son frêre » pour lui pardonner. Cette dialectique entre le jugement (‘adl) et l’amour de Dieu (ihssane) est trop souvent déséquilibrée du côté du jugement, estime Tariq Ramadan.

L’auditoire, attentif, a semblé estimer au plus haut point l’intervention. Au moment des questions, de nombreux intervenants ont évoqué les problèmes de mésentente entre l’islam et l’Occident. Tariq Ramadan, qui revendique son rôle de pont entre les deux, a mis en garde contre le « piège de la polarisation » en deux blocs. Invitant les musulmans à ignorer les provocations comme les caricatures danoises de Mahomet, il a souligné le rôle contre-productif joué par les réactions émotives et excessives de certains musulmans. Concernant les récents propos du papa sur l’islam, il a défendu une position relativement originale puisqu’il n’a pas vu dans les propos de Benoît XVI d’agression vis-à-vis de l’islam à l’exception d’une autre partie de ce même discours qui considère l’Europe comme exclusivement chrétienne et grecque. Or selon lui la population musulmane en Europe aura doublé dans 50 ans, et l’islam ne peut donc continuer à être perçu comme extérieur à l’occident. S’il a refusé que la religion musulmane puisse être qualifiée de violente par essence, il a invité les critiques de l’islam à se pencher sur les sources des violences avant de les juger. Une façon de défendre, à côté de l’idée de justice, celle de justesse. Comprendre avant de juger.

Antony Drugeon, LIBERATION, 14 & 15 octobre 2006

More Details

Oct 8, 2006
Derrière la difficulté de la langue, l’obstacle culturel

Dossier centres d’appels au Maroc

Les clients de ces téléconseillers ne doivent pas savoir qu'ils appellent au Maroc.
Les clients de ces téléconseillers ne doivent pas savoir qu'ils appellent au Maroc.

Derrière la difficulté de la langue, l’obstacle culturel

« Allo M. X, ici Julien Diet. Je suis viticulteur de la maison de x dans la région de Bordeaux (région fameuse en France pour la qualité de ses vins, NDLR) » C’est ainsi que Hakim commence chacun de ses appels vers la Belgique, où il démarche des particuliers référencés dans l’annuaire pour vendre des caisses de vins. Une démarche qui réussit d’autant plus que le télévendeur parvient à se faire passer pour un authentique professionnel français du vin. D’ailleurs, Hakim, qui n’a jamais bu la moindre goutte de vin, n’a pas le droit de révéler qu’il travaille à Casablanca. Et cette situation est très répandue dans les différents centres d’appels au Maroc. Car l’investisseur, le plus souvent français, tient à préserver son image de marque. Donc à paraître proche de son client.

Mais il n’est pas évident de créer une telle illusion de proximité. Il y a tout d’abord une difficulté liée à la langue. Certes les centres d’appels trouvent aisément au Maroc une main d’œuvre parlant français, mais la maîtrise de certains termes techniques fait parfois défaut. En outre, se faire passer pour un Français implique de comprendre toutes les expressions françaises, même les plus sophistiquées. Mohamed, 24 ans, superviseur au centre d’appel d’un fournisseur d’accès Internet, avoue ainsi être resté perplexe face à une expressions comme « couler comme le bon Dieu en culotte de velours » ou ne pas avoir su écrire « rue des tourterelles ». Quelquefois les clients s’amusent à déceler les imperfections de prononciation, d’accent, chez leur interlocuteur. Pas dupes, ils reçoivent une réponse préparée: « Non, je ne suis pas au Maroc, nous sommes à Rennes, près du supermarché x, sur le boulevard Jeanne d’Arc… Oui, je m’appelle bien Martin et pas Mohamed. »

Même une parfaite maîtrise de la langue française ne suffit pas. Beaucoup de centres d’appels se rendent compte que leurs employés peinent à comprendre les adresses, les propos des clients relatifs à l’actualité nationale, à la politique même, les différents indicatifs téléphoniques, les administrations, etc. Autant de méconnaissances qui trahissent le télé conseiller.
Alors les centres d’appels ont réagi et proposent quelquefois des formations préliminaires. Mais les entreprises ont souvent des exigences spécifiques, et ont besoin de personnes réellement très familières de la culture du pays concerné. D’où ce partenariat original entre de nombreuses sociétés et les instituts français au Maroc. En effet, connus pour leur dimension culturelle, les instituts français proposent depuis 2002 des cours spécifiques aux entreprises intéressées. Avec un programme quelquefois ambitieux. Ainsi, au moment de la campagne référendaire sur la constitution européenne, les instituts français ont même dû programmer des cours pour enseigner la construction européenne, afin que les télé conseillers comprennent les réflexions des clients français. Et désormais, c’est la campagne présidentielle française qui pourrait bien s’inviter dans les programmes. Cette démarche inattendue prend la forme de cours du soir, payés par l’entreprise pour ses salariés. Lesquels, à raison parfois de 10h par semaine, se familiarisent ainsi avec l’univers quotidien des Français. C’est comme cela que la plupart des Français faisant recours aux services des centres d’appels au Maroc ne se doutent même pas d’avoir passé un coup de fil au delà des mers.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 7 & 8 octobre 2006.

More Details
Oct 8, 2006
DOSSIER SPECIAL – Le Maroc à l’heure des centres d’appel

Dossier centres d’appels au Maroc

Le Maroc à l’heure des centres d’appels

Le phénomène a été très rapide. Inexistants il y a dix ans, les centres d’appels, principalement délocalisés d’Europe et tout particulièrement de France sont désormais incontournables au Maroc. Installés traditionnellement à Casablanca, ils apparaissent de plus en plus dans d’autres villes comme Marrakech, Tanger, Fès, Rabat, et Oujda. Que ce soit pour démarcher des clients (télévente) ou pour assurer le service après-vente (télé-assistance), ou donner des renseignements. Les secteurs les plus actifs dans ce domaine depuis les années 1997-1998 ont été les opérateurs de téléphonie mobile, les assurances et les banques à distance. Puis, en 2000, ce sont les fournisseurs d’accès Internet qui ont dynamisé le secteur. A l’heure actuelle, même les acteurs publics en France comme les collectivités territoriales et les services publics envisagent de créer leur centre d’appels. Face à cette explosion de demande en centres d’appels, le Maroc est actuellement en tête des préférences de délocalisation de la part des entrepreneurs français. En l’espace de trois ans, plus de 10.000 emplois auraient ainsi été créés dans des centres d’appels français délocalisés, dont 7.000 au Maroc. Car lorsque «un téléopérateur au Maroc coûte, charges comprises, 4500 dirhams par mois et travaille au moins 44 heures par semaine», explique Jean-Christophe Berthod, un haut responsable du Groupe français Alpha, son collègue en France touche plus du double pour un peu plus de 35 heures de travail. Au Maroc les centres d’appels drainent donc de nombreux jeunes intéressés par les salaires, supérieurs à la moyenne. Mais les conditions de travail éprouvantes de ces centres expliquent l’importante démotivation de ces salariés. En effet dans ces grandes équipes de 50 à 400 employés, une structure hiérarchique bien rodée permet de contrôler le travail de chacun et la pression est permanente. Horaires, résultats, efficacité, tout conditionne l’avancement de la carrière et le salaire. Beaucoup sont donc en permanence en quête d’un autre travail, mieux payé ou moins contraignant. Mais néanmoins certains centres parviennent à conserver une équipe composée non-exclusivement de jeunes. On y voit donc aussi bien des jeunes décrochant leur premier emploi après leurs études que des pères de famille trentenaires ou quarantenaires. De quoi laisser penser que ces centres s’inscrivent dans une démarche de long terme, et comptent rester au Maroc.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 7 & 8 octobre 2006

More Details
Oct 8, 2006
Le retour du travail à la chaîne

Dossier centres d’appels au Maroc

Travée de centre d'appel casablancais.
Travée de centre d'appel casablancais.

Le retour du travail à la chaîne

Avec l’avènement d’une société de services, où l’industrie et le travail mécanisé décline, on avait espéré un temps que le travail serait de moins en moins répétitif. La société de services serait la société du relationnel, donc du travail humanisé. Mais les prévisions optimistes faites par les économistes il y a quelques années ont du plomb dans l’aile. Car si les centres d’appels sont l’exemple même de l’essor des services dans l’économie, ils n’en sont pas moins des exemples de néo-taylorisme.
L’organisation du travail, caractérisée par la recherche de la rentabilité optimale, favorise des conditions de travail éprouvantes. Mehdi H, 23 ans, téléconseiller pour un opérateur téléphonique, témoigne : « Le travail est si prenant que le soir, je n’ai plus envie de faire quoi que ce soit« . Les horaires l’expliquent en grande partie : généralement six jours sur sept de travail, à raison de journées de 9h. Mais le décalage horaire avec la France, principal pays partenaire, justifie que de nombreux Marocains commencent leur journée de travail dès 6h du matin. Ces horaires contraignantes sont le principal motif de démotivation des employés. Adil M., 25 ans, et qui travaille également dans un centre d’appel à Casablanca, est nettement moins enthousiaste qu’au moment de son embauche, lorsqu’il arrivait tout droit de Oujda, il y a tout juste trois mois : « Les consultations chez le médecin, les courses, les démarches administratives, et tout simplement les loisirs, pour tout ça je n’ai plus le temps! » peste-t-il, en rajoutant « il me faut des fois prendre des congés pour aller chez le médecin« . Ceux qui quittent ces centres d’appels le font principalement pour cette raison, faute de trouver de contrat à temps partiel.

Mais outre ces semaines chargées, les employés doivent faire face à un stress permanent. Car chaque salarié est sous-évaluation permanente. Dans les centres de réception d’appels, chaque employé est susceptible de faire l’objet d’écoutes. Ces écoutes, fréquentes, contrôlent la maîtrise du français, les connaissances des scripts, la politesse, etc. Et donnent lieu à une notation, qui joue un grand rôle dans l’évolution de carrière de l’employé. Dans les centres d’émission d’appels, le système est différent, car il n’y a pas de service d’écoute. Mais le stress est peut-être plus important. En effet, ces centres sont souvent consacrés au démarchage auprès de clients européens. Dès lors, chaque vendeur est placé devant une obligation de résultat, qui impacte fortement le salaire. Ce qui devient une source de stress à part entière. Hanane, 21 ans, par exemple, démarche des particuliers en Belgique pour le compte d’une société de maquillage. Elle doit passer plus de 400 appels par jour pour réaliser tout au plus deux ou trois ventes. Un rythme rapidement décourageant. Et pourtant, Hanane doit chaque jour réaliser au moins une vente pour ne pas se voir prélever 3 heures de salaire. Une menace qui chaque jour lui fait mettre en jeu 60 dh.
Stressant également, le contrôle de l’assiduité, qui met souvent en péril l’évolution professionnelle pour le moindre retard. Les promotions se gagnent et se perdent en minutes de retard, lorsque la compétence professionnelle est sensiblement la même. De fait, il n’existe aucun moyen d’échapper à son travail et à la surveillance de la direction. Oussama, 20 ans, salarié du centre d’appel de HP à Casablanca, explique même: « Si l’on passe trop de temps à faire des manipulations sur l’ordinateur sans passer d’appels, le « team manager » nous rappelle à l’ordre. » Horaires astreignants, surveillance étroite et efforts permanents sont donc le prix à payer pour avoir un salaire relativement plus favorable que dans d’autres secteurs.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 7 & 8 octobre 2006

More Details
Oct 7, 2006
Entretien avec Tariq Ramadan

A l’occasion de sa conférence « Islam et culture » tenue à Casablanca le 7 octobre 2006

Entretien avec Tariq Ramadan

Libération : Vous vous réclamez d’un islam réformiste mais certains vous accusent de vouloir « islamiser la modernité ». Quel est votre projet réformiste ?
Tariq Ramadan : Il faut commencer par déconstruire ces questions elles-mêmes. Car poser le débat en ces termes, c’est opposer les deux notions, islam et modernité. Ce qui suppose que l’un des deux doit l’emporter sur l’autre. Mais c’est une hypothèse scientifiquement fausse, historiquement non-fondée, et absolument non vérifiée dans l’expérience. Je travaille simplement à aider les musulmans en Occident à être eux-mêmes, mais en France particulièrement l’intégration est synonyme de renoncement à ses origines. Être soi-même, rester musulman, ce serait participer à l’islamisation du pays ! Or on peut très bien être à la fois européen et musulman. Il faut admettre que chaque tradition peut mener à l’universel, qu’il n’y a pas nécessairement de conflit entre les visions du monde musulmanes et européennes. Les points communs entre les deux sont nombreux, et conduisent à l’entente mutuelle ; les cas de conflit entre les principes du pays d’accueil et ceux de la culture musulmane, comme le cas du foulard, sont rares, mais ils supposent une adaptation. Après tout, l’islam peut s’accommoder des différences culturelles locales. Beaucoup de musulmans croient que l’unicité de l’islam signifie l’uniformisation. Pas du tout ! La seule exigence que j’ai vis-à-vis des pays occidentaux, c’est de leur demander le droit d’être soi-même. La charia, ce n’est pas comme on le dit souvent en Europe un code pénal précis et rigide, mais c’est aussi et surtout un corpus de valeurs, de principes que l’on doit se choisir en accord avec sa société.

Libé : Vous avez récemment critiqué les propos du pape comme une nouvelle provocation à l’égard des musulmans, après l’affaire des caricatures de Mahomet. Mais n’y a-t-il pas une distinction à faire entre la critique de l’islam par la droite européenne populiste et l’attitude d’une certaine gauche européenne et française en particulier, avec le journal français Charlie Hebdo par exemple, dont la culture politique est hostile à l’idée même de religion, ce qui ne vise donc pas exclusivement l’islam ?
TR : La tradition politique de la satyre est effectivement une réalité de l’histoire de la gauche en France. Mais je ne pense pas que Charlie Hebdo (journal satyrique français qui avait publié les caricatures de Mahomet, et poursuivi en justice par des associations musulmanes, NDLR) s’inscrive dans cette tradition. C’est une évolution récente, mais la direction de Charlie Hebdo est animée d’un souci de la provocation perpétuelle et systématique, c’en est presque obsessionnel. Les propos de Philippe Val et de Caroline Fourest sont racistes, il n’y a pas de respect des personnes dans leurs discours. Je préfère ignorer ces gens, plutôt que de leur faire de la publicité en les poursuivant en justice. Je n’ai pas de respect intellectuel pour eux.

Libé : Votre conférence porte sur les liens entre culture et spiritualité. Ne peut-on parler de mélange des genres entre la culture arabe et la religion musulmane ?
TR : Bien sûr, et c’est une confusion problématique. La langue arabe n’est que le média, le vecteur du message de l’islam, mais cela suffit pour instituer l’idée selon laquelle le « meilleur » islam serait celui des Arabes. Beaucoup d’exégèses ont été faites à partir de la culture arabe. Mais c’est faux, la culture arabe n’est pas la culture de l’islam. Quelquefois, la culture arabe s’oppose même aux principes de l’islam, ou devient le prétexte, la justification de pratiques au nom de l’islam. Car le texte étant en arabe, on est facilement tenté par des interprétations littérales. Mais si l’islam est universel, les cultures elles sont relatives. Il faut donc savoir être critique sur toutes les cultures et en prendre le meilleur. Par exemple, si la pudeur est le principe universel défendu par l’islam, elle peut connaître des modalités d’application différentes selon les cultures. Ainsi le noir est la couleur de la pudeur pour les Arabes, mais pour les Africains on peut parfaitement porter des vêtements très colorés et être pudique.

Libé : Le rapport à la femme est-il un autre exemple de prégance de la culture arabo-méditerranéenne sur l’islam à proprement parler ?
TR : Tout à fait. L’approche culturelle projette des choses dans la religion telles que la violence conjugale, les mariages forcés, l’excision, alors que ce sont des éléments absents des textes. Il faut en prendre conscience et ne pas avoir peur d’évoluer sur ces questions.

Libé : Comme sur l’éventualité de l’imamat pour les femmes ?
TR : Il existe plusieurs rites en islam, actuellement le rite malikite ne reconnaît pas aux femmes le droit de conduire la prière. Cela changera peut-être un jour, après tout il est possible de regarder ce qui se fait dans les autres rites. Mais je ne pense pas qu’il faille dire au rite malikite ce qui ne va pas chez lui, tout changement doit être mûri de l’intérieur. Je souhaite que le débat se construise en interne à partir de la réalité marocaine. Mais je considère que l’imamat féminin n’est pas la question la plus importante, ce qui compte beaucoup plus c’est que des femmes soient formées et soient capables de former. C’est là une grande évolution, car elle permet de favoriser l’accès à la connaissance, de donner une opinion.

Propos recueillis par Antony Drugeon, LIBERATION, le 14 & 15 octobre 2006

More Details
Sep 29, 2006
Lula favori pour se succéder à lui-même

Derrière la réélection de Lula, c’est l’avenir de toute la gauche latino-américaine qui est en jeu.

Au premier ou au second tour, Lula, sera réélu à la présidence du Brésil. L’incertitude concerne donc moins le résultat que le score. Et l’enjeu de cette élection dépasse le seul Brésil, tant Lula est devenu l’icône de la gauche latino-américaine. Luiz Inacio Lula da Silva devra faire plus de 50% des suffrages pour être réélu dès dimanche. Face à lui, le candidat de centre-droit Geraldo Alckmin, crédité de 28 à 33% des intentions de vote, et Ana Maria Teixeira Rangel, transfuge du Parti des Travailleurs, déçue par Lula, qui représente la gauche radicale, recueillant 9% des intentions de vote. Ce qui peut sembler dérisoire. Cependant, c’est elle qui est en position de mettre en ballotage Lula. Lequel oscille entre les 48 et les 53% en fonction des sondages. Etant donné que Lula ne pourra se représenter en 2010, il n’est pas impossible que Ana Maria Teixeira Rangel devienne le recours de la gauche brésilienne, si jamais elle parvient à faire trébucher le président Lula. Car Heloisa Helena capitaliserait alors suffisamment de notoriété, qui pourrait l’aider pour briguer à nouveau la présidence, en 2010, avec peut-être l’appui du président vénézuélien Hugo Chavez. Le Mouvement de libération des sans terre, qui mit à sac le Congrès (Parlement) de Brasilia en juin dernier, pourrait être son bataillon de choc. Sénatrice expulsée du PT de Lula pour son opposition à une réforme sociale qui soumettait les retraités à l’impôt, dénonçant « l’embourgeoisement » du PT, Heloina Helena a une fibre d’apparence bolivarienne. Et en Amérique latine, les candidats proches de la « révolution bolivarienne » du président Chavez se sentent pousser des ailes. Les succès électoraux en Bolivie, au Pérou et dans une certaine mesure au Mexique des candidats proches du président vénézuélien ne demandent qu’à s’étendre, compte tenu du soutien dont ils bénéficient. Une offensive, discrète ou non, de la gauche castro-bolivarienne soutenue par Caracas, La Havane et La Paz ne devrait pas tarder à être lancée en vue de la relève de Lula en 2010. Faire basculer dans le camp de la gauche radicale le Brésil, première puissance du sous-continent, 5e pays du monde par sa population (185 millions) et 13e économie mondiale (en 2005) aurait des conséquences continentales et planétaires. Ce pourrait être la victoire la plus retentissante d’Hugo Chavez. Ce week-end donc, les électeurs brésiliens sont invités à redistribuer les cartes de la gauche latino-américaine.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 29 septembre 2006

More Details
Sep 27, 2006
Hariri: la thèse de l’attentat suicide au camion piégé confirmée
Manifestation de partisans de l'ex-Premier ministre Rafic Hariri, demandant l'élucidation de son assassinat.
Manifestation de partisans de l'ex-Premier ministre Rafic Hariri demandant l'élucidation de son assassinat.

Le rapport des enquêteurs onusiens se garde toutefois d’incriminer la Syrie.

De nouvelles analyses effectuées par la commission d’enquête de l’ONU sur l’assassinat de Rafic Hariri confirment la thèse selon laquelle l’ancien Premier ministre libanais a été tué lors d’un attentat-suicide au camion piégé, selon un rapport publié lundi. Par ailleurs, dans ce nouveau rapport, les enquêteurs de l’ONU apportent des précisions sur le kamikaze: il s’agit probablement d’un jeune homme âgé entre 20 et 25 ans qui ne venait pas du Liban, selon des examens effectués par des médecins légistes, grâce à une couronne sur une dent portant « une marque distinctive » laissant penser que le kamikaze ne venait pas du Liban.

Depuis un certain temps, les enquêteurs de l’ONU travaillaient sur l’hypothèse d’une bombe placée dans un minivan Mitsubishi et déclenchée par un kamikaze. Les nouvelles analyses corroborent cette hypothèse, en précisant que le kamikaze se trouvait soit à l’intérieur du van soit devant le véhicule et que la bombe était probablement composée de 1.800 kilos d’explosifs. En outre, la commission est de plus en plus convaincue du lien entre 14 attentats commis dans cette période au Liban : « la commission a renforcé sa conclusion préliminaire que les 14 cas n’ont pas été commandités ou exécutés par 14 groupes ou personnes différents avec des motifs séparés et elle développe des preuves qui lient les cas entre eux », assure le rapport.

Les enquêteurs de l’ONU placés sous l’autorité du procureur belge Serge Brammertz notent également que la Syrie s’est montrée globalement coopérative avec eux, alors que Damas avait été précédemment accusée de faire obstruction à l’enquête. Contrairement à son prédécesseur l’Allemand Detlev Mehlis, Serge Brammertz s’abstient de toute théorie ou spéculation sur les commanditaires ou les responsabilités. Ses rapports se révèlent être surtout des documents techniques. Le document remis lundi à M. Annan est le cinquième depuis l’ouverture de l’enquête de la commission créée par une résolution de l’ONU le 15 décembre 2005. Elle doit faire la lumière sur la mort de Rafic Hariri, tué dans un attentat à la voiture piégée devant l’hôtel St-Georges à Beyrouth, qui a aussi coûté la vie à 22 autres personnes.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 27 septembre 2006

More Details
Sep 25, 2006
Abbas au chevet du projet de gouvernement d’Union Nationale

Le Hamas hésite à franchir le pas, l’Europe assouplit les exigences pour la reprise de l’aide internationale.

La constitution du gouvernement d’union nationale a subi un sérieux revers suite aux propos vendredi du porte-parole du Hamas annonçant que le mouvement ne participerait pas à un gouvernement reconnaissant Israël. Elle était pourtant la seule option permettant à la Palestine de recouvrer l’aide internationale, conformément aux conditions posées par le Quartette pour le Proche-Orient (Etats-Unis, Union Européenne, Russie et ONU).

Le président palestinien, Mahmoud Abbas, rencontrera donc des responsables du mouvement Hamas lundi ou mardi dans la bande de Gaza pour tenter de relancer les discussions sur la formation d’un gouvernement d’union nationale, a fait savoir un de ses collaborateurs : « Il dira au Hamas, ‘si vous voulez un gouvernement d’union, il faut accepter certaines demandes de la communauté internationale, voilà la seule façon de former un gouvernement d’union’ », a ainsi expliqué Saëb Erekat, proche conseiller d’Abbas.

Le président palestinien a précisé que si la formation d’un gouvernement d’union permettait une reprise des négociations de paix, celles-ci seraient confiées, côté palestinien, à l’OLP, qu’il préside également. En outre, tout accord serait ensuite soumis soit à un référendum soit au Conseil national palestinien. Mais le Hamas semble revenir sur les gestes d’ouverture qu’il avait consenti jusque-là. Le ministre palestinien des Affaires étrangères, Mahmoud al Zahar (Hamas), est même allé plus loin: « C’est (reconnaître Israël, NDLR) la recette idéale d’une guerre civile car le peuple palestinien n’acceptera pas qu’on le prive de ses convictions »

De son côté, le Quartette assouplit ses exigences, du fait des pressions européennes, en venant de substituer les exigences strictes de reconnaissance du droit à l’existence d’Israël, renoncement à la violence et respect des accords passés, au simple « reflet de ces principes ».

Antony Drugeon, LIBERATION, le 25 septembre 2006

More Details
Sep 4, 2006
De Cervantès à Molière, le coeur des Marocains vacille

Derrière l’essor des cours d’espagnols, c’est toute l’Espagne qui se rapproche des Marocains.

L’engouement pour la langue espagnole se confirme, alors que le français stagne. Le Maroc n’hésite certes pas entre les sommets de la francophonie et ceux des pays hispanophones, mais force est de constater que depuis quelques années la domination de la langue française comme deuxième langue du pays est écornée. Si le français est indubitablement encore première langue européenne au Maroc, c’est surtout la progression de l’espagnol qui étonne, comparativement à la stagnation du français. En effet la langue de Cervantès séduit de plus en plus de Marocains. Par exemple, les inscriptions en cours d’espagnol au sein des Instituts Cervantès sont passées de 2.900 en 1991 à 12.000 en 2006, instituts de Tanger, Tétouan, Fès, Rabat et Casablanca réunis. Soit une progression de 300 % en 15 ans ! A titre de comparaison, les cours de français à l’institut français de Casablanca ont attirés en 2005 27.800 personnes contre 4.400 à l’Institut Cervantès de Casablanca. L’espagnol, par rapport à son importance, s’en sort donc bien sur la scène marocaine des cours de langue. Les prêts de livres pour les instituts Cervantès et Français de Casablanca concernent respectivement 14.700 personnes contre 10.000. Le David espagnol rivalise donc avec le Goliath français. Les femmes sont plus nombreuses (53,3%) à apprendre l’espagnol dans les instituts Cervantès au Maroc et les jeunes de 17 à 25 ans représentent une proportion non négligeable (35%) des étudiants de ces instituts. Par ailleurs les inscriptions en université au sein des départements de littérature espagnole ont concerné l’année dernière pas moins de 2.600 personnes, réparties au sein des cinq universités proposant ce cursus au Maroc (Rabat, Fès, Tétouan, Casablanca, Agadir).

On le voit la « présence » espagnole au Maroc n’est pas exclusivement restreinte à l’ancien Rio de Oro, Madrid ayant fait le choix stratégique de jouer la carte du Maroc. Antonio Martinez Luciano, directeur de l’Institut Cervantès de Casablanca, explique d’ailleurs : « L’Espagne a implanté onze collèges et lycées au Maroc, et avec cinq instituts Cervantès, le Maroc est le pays le mieux desservi au monde » Comment expliquer cette situation? Pour M. Luciano, la réponse est double.

De la movida à la nayda

D’une part nombreux sont ceux qui estiment que le castillan peut les aider à s’intégrer plus facilement dans le marché de l’emploi, ou à ouvrir davantage d’horizons professionnels pour ceux qui travaillent, tant le français n’est souvent plus un moyen de se démarquer sur le marché du travail. Autre explication, culturelle et politique celle-là : les Marocains s’intéressent à l’Espagne, selon M. Luciano, parce qu’ils comparent la transition que vit actuellement leur royaume avec celle qu’a connu il y a encore peu de temps cet autre royaume plus au Nord. Transition espagnole qui fut protégée des forces réactionnaires par le monarque lui-même, lors du coup d’état pro-franquiste de 1981, où le roi s’était impliqué pour le maintien de la démocratie… et transition progressive pour ne pas heurter la force du catholicisme conservateur, tout en entrant de plein pied dans la modernité et l’Europe, la nayda faisant office de movida à la marocaine. Effectivement la comparaison entre les deux Royaumes voisins est inévitable, et comme l’explique Larbi El Harti, professeur de littérature espagnole à Casablanca, car « le sentiment affectif de proximité avec un pays est un corollaire de l’apprentissage d’une langue ».

Ce qui fait dire à Antonio M. Luciano que le français stagne, voire chancelle, victime de son statut de langue incontournable au Maroc, alors que l’espagnol progresse à vitesse grand V. Un jugement qui fait se dresser Jean-Jacques Beucler, directeur de l’Institut français de Casablanca : « Que les gens apprennent l’espagnol ou l’anglais ne signifie pas qu’ils se détournent du français » Et de rappeler la force de frappe française : avec 23 établissements scolaires au Maroc, la France y scolarise plus de 16.000 élèves, dont les deux tiers sont marocains. Et de rajouter subrepticement que lors des projections de films à l’institut, il n’est pas nécessaire de mettre le sous-titrage… A l’évidence le Maroc est membre à part entière de la francophonie, il ne peut être question d’en douter. D’ailleurs, comme le précise M. Beucler, les inscriptions pour les cours de français ont encore augmenté à l’occasion du mondial de football et du remarquable parcours des Bleus. Ribéry, Zidane et Henry, meilleurs remparts défensifs de la langue française? Si la langue française ne saurait être analysée comme en déclin, mais il se pourrait bien que l’espagnol s’implante à terme comme son alternative.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 4 septembre 2006

More Details
Juil 29, 2006
Quand la photo se laisse peindre
Antony Drugeon.
Les cartes postales désuètes revivent grâce à l'intervention du peintre. Crédit photo : Antony Drugeon

Exposition iconoclaste où la photographie apprend à se laisser peindre…

Mardi une exposition de peinture d’un genre un peu particulier s’est clôturée, puisque Ahmed Taoufiq (à ne pas confondre avec le ministre de même nom) vient juste d’exposer à Casablanca 63 toiles, toutes des reproductions de vieilles cartes postales datant de la présence française.

La démarche de reproduire des photographies en en faisant des tableaux peut paraître surprenante. Pourtant, l’idée peut s’avérer particulièrement intéressante. Prenant pour cadre le somptueux siège de la Région du Grand Casablanca, ancienne résidence du pacha, cette exposition a ainsi permis à chacun de découvrir librement les photographies jaunies, en noir et blanc, de Casablanca, où‌ l’ex-« place de France » (actuelle place des Nations Unies) à peine reconnaissable, ignorait encore le goudron.

Les visiteurs ont ainsi pu comparer leur lieu de vie quotidien avec ce qu’il avait pu être auparavant tel que les cartes postales le montraient. Mais l’apport de l’artiste est d’avoir su saisir l’essentiel de chaque photo pour en faire un tableau épuré, où une atmosphère propre est mise à l’honneur, débarrassée des mille fioritures dont sont souvent encombrées les photographies d’une ville déjà grouillante.

Toutefois les représentations de ville étaient loin d’être la seule curiosité de l’exposition, puisque de nombreux portraits permettent de saisir quelques scènes d’une vie quotidienne comme ressuscitée d’un passé oublié, et là encore l’intervention de l’artiste fait d’un portrait parfois trop peu expressif sous forme photographique un tableau saisissant. Ainsi les tenues traditionnelles et les gestes des Touaregs prennent un autre visage, sortant du regard anthropologique du photographe pour recueillir toute la chaleur des couleurs d’un peintre que l’on sent complice (nostalgique, peut-être) de l’époque de ces visages profondément humains.

Ce travail humain et humaniste est d’ailleurs l’œuvre d’un passionné de l’art pour l’art, pour qui la peinture n’est qu’un loisir, puisque ces toiles (il en a déjà réalisé 120) ne sont pas à vendre. Ayant gagné sa vie dans le textile, Ahmed Taoufiq, aujourd’hui âgé de 62 ans, n’a fait de la peinture qu’un passe-temps dénué de toute considération pécuniaire. L’exposition, gratuite, se tiendra désormais à El Jadida, durant tout le mois d’août.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 29 juillet 2006

More Details
Juil 14, 2006
Deux Marocains visés par la politique d’expulsion en France
Manifestation du Réseau Education Sans Frontière à Nîmes (Gard)
Manifestation du Réseau Education Sans Frontière à Nîmes (Gard)

Un lycéen marocain de 19 ans expulsé de France, tandis qu’un autre tente de rebondir sur l’impopularité de ces expulsions.

Un lycéen marocain, Abdallah Boujraf, 19 ans, célibataire et vivant en France depuis l’âge de 14 ans, a été expulsé vendredi 7 juillet vers le Maroc, a indiqué la préfecture de police de Paris.
Ceci survient tandis que le gouvernement français est en plein embarras, alors que l’opposition à la loi sur l’immigration de Nicolas Sarkozy, le ministre de l’Intérieur, gagne toutes les villes de France. Cette loi visant également des enfants, elle est devenue très peu populaire. Ce qui avait contraint N. Sarkozy à déclarer un moratoire sur les expulsions jusqu’à la fin de l’année scolaire. Depuis que celui-ci est arrivé à expiration, de nombreuses associations se sont créées pour héberger le cas échéant les enfants menacés d’expulsion et faire ainsi obstacle à l’application des directives du ministère de l’Intérieur. Ces associations se sont fédérées au sein du Réseau Education Sans Frontières (RESF), lequel annonce qu’il s’agit de la première expulsion d’un élève depuis la fin de l’année scolaire et du moratoire.

Selon la préfecture, Abdallah Boujraf, arrivé en France à l’âge de 14 ans pour rejoindre son père qui y travaille depuis 26 ans avec une carte de résident, est « en situation irrégulière » en France. Le lycéen serait entré en France « sans visa » et a sollicité un titre de séjour en mai 2005 (à ses 18 ans) qui lui a été refusé en octobre de la même année. Abdellah Boujraf « n’a pas quitté le territoire » à cette date « comme il y était invité car en situation irrégulière », précise la préfecture.
Le RESF a promis d’organiser une mobilisation pour demander le retour d’Abdellah Boujraf. « On ne désespère pas de l’obtenir », déclare un animateur du Réseau, citant le précédent retour en France d’une Malienne expulsée en mai, ou encore la décision du tribunal administratif de Montpellier d’annuler l’expulsion du collégien Marocain Mourad Kadi. Toutefois ce dossier là risque d’être médiatiquement plus « délicat » : Abdallah Boujraf a été arrêté le 30 juin dernier accusé de l’agression d’un sans domicile fixe (SDF); même s’il nie ces accusations. De plus il n’est pas mineur. Un autre Marocain de 19 ans, Ali Taghda, menacé d’expulsion, suscite également une large mobilisation en sa faveur, dans la région de Montpellier. Arrivé en France en 2002, il vit avec son père handicapé qu’il assiste, lequel est muni d’une carte de séjour et travaille en France depuis 1970.

Désormais, le gouvernement français semble handicapé par ce dossier. En effet, si Nicolas Sarkozy espérait affirmer son image de présidentiable auprès de la droite, il a choqué l’opinion publique en s’en prenant même à des mineurs. Il a dû reculer en prononçant un moratoire mais celui-ci n’a pas permis à la contestation de retomber comme il l’escomptait avec l’arrivée de l’été et de la Coupe du Monde. La préfecture de Paris a cru apaiser la situation en déclarant envisager de « régulariser plusieurs milliers de famille ». Mais cela a suscité un malaise au sein de la droite, à laquelle Nicolas Sarkozy ne cesse de répéter que les régularisations ne s’étudient qu’ « au cas par cas ». Les difficultés du ministre de l’Intérieur faisant la satisfaction du Premier Ministre et rival de Sarkozy, Dominique de Villepin. Pendant ce temps, la gauche espère pouvoir reprendre des couleurs et espère sortir de son atonie à l’approche des élections présidentielles et législatives de 2007.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 14 juillet 2006

More Details
Juin 29, 2006
Les expulsions d’enfants de parents clandestins en France émeuvent l’opinion publique

Mobilisation d’une école toulousaine contre l’expulsion d’un Marocain et d’une Angolaise

Mardi, plus d’une cinquantaine de personnes se sont rassemblées devant une école primaire de Toulouse (sud-est de la France) pour manifester leur soutien aux deux enfants qui y sont scolarisés mais menacés d’expulsion. Un petit Marocain et une petite Angolaise, dont les mères sont menacées d’expulsion, sont ainsi au centre de cette mobilisation. La mère Marocaine, Zakia Abchir, est arrivée du Maroc avec son fils Rafik en 2002 pour rejoindre le père, un chauffeur vivant à Toulouse depuis 20 ans et titulaire d’une carte de séjour. Mais Zakia Abchir s’est vu refusé sa demande de regroupement familial en se faisant prier par la préfecture de quitter le territoire français sous deux mois, a expliqué une représentante de son collectif de soutien. Très vite, « les parents en apprenant la situation ont décidé de faire une pétition pour permettre à ces enfants de rester en France » a expliqué la directrice de l’école Emy Levy à la presse. Le mouvement a su mobiliser lors de la manifestation de mardi dernier non seulement des parents et leurs enfants, mais aussi des conseillers régionaux et généraux, des membres du Réseau Educatif Sans Frontières (RESF) et la Ligue des Droits de l’Homme (LDH).

Ces évènements traduisent le renforcement de la lutte contre l’immigration clandestine menée par le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Celui-ci ne cache plus son ambition de disputer à Jean-Marie Le Pen (FN, extrême-droite) son électorat, cherchant à se forger une image intransigeante et sécuritaire. Une stratégie directement inspirée du choc de 2002, lorsque M. Le Pen avait à la surprise générale atteint le second tour de l’élection présidentielle.

Ainsi, Nicolas Sarkozy entend multiplier les expulsions des familles non régularisées. C’est dans ce contexte qu’a été voté son projet de loi sur l’immigration le 17 juin par les sénateurs. Cette loi prévoit notamment de limiter le regroupement familial. Ainsi celui-ci serait soumis à certaines conditions de ressources et de logement ; en outre le délai de 2 ans nécessaire pour qu’un conjoint de Français obtienne une carte de résident valable 10 ans passerait à 3 ans. La loi pour rentrer en vigueur doit être votée par les députés ce qui devrait survenir vers le 1er juillet.

Mais l’opposition à ce projet de loi, si elle prenait de l’ampleur, pourrait peut-être contraindre le gouvernement à faire marche arrière. En effet, d’ores et déjà, alors que les expulsions de clandestins se multiplient, on assiste à des mobilisations dans les écoles où sont menacés d’expulsion certains élèves, où des collectifs de parents d’élèves souvent soutenus par la direction de l’école se constituent. Certains espèrent même déjouer les plans de la police en abritant chez eux les enfants « clandestins » et en allant les chercher à l’école. Le sujet occupe le devant de la scène médiatique en France depuis quelques jours déjà.

Ainsi, le 6 juin, au Mans (ouest) la police est venue expulser deux enfants kurdes Turcs en interrompant la classe. Cela a eu pour effet de mobiliser l’association de parents d’élèves FCPE, le Mouvement contre le Racisme et Pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP) et la Ligue des Droits de l’Homme pour une manifestation samedi dernier, qui a réuni 11.200 personnes selon la police, et 35 000 selon les organisateurs.

Antony Drugeon, LIBERATION, 29 juin 2006

More Details