L’opération séduction de Nadia Yacine à Marseille

Antony DRUGEON

Animateur de communauté associative

Nov 20, 2008
L’opération séduction de Nadia Yacine à Marseille

nadia-yacineA Marseille aussi, Nadia Yacine fait des vagues. L’égérie d’Al Adl Oua al Ihssane a profité de la 15e édition des Rencontres d’Averroès organisées dans la cité phocéenne pour présenter l’association islamiste sous un jour favorable. Avec un succès relatif, dans son échange avec les quelques 1200 personnes du public. Elle a pourtant été jusqu’à pousser la chansonnette, interprétant le début de La méditerranée de Tino Rossi pour « prouver que l’islam n’interdit pas le chant, comme dans les clichés ». Un effort louable qui n’a pas empêché le public de l’interpeller sur son « pacte islamique » pour la société marocaine. « Il s’agit d’un pacte d’entente basé sur le dénominateur commun qu’est l’islam, puisqu’il n’y a pas de minorité religieuse au Maroc » a-t-elle justifié, suscitant moqueries et réprobations à la fois. Avant de scandaliser l’auditoire, en refusant de reconnaître le droit de choisir sa religion, « non pour moi-même, mais parce qu’il ne serait pas acceptable de violer les consciences des masses analphabètes par des choix qu’ils ne sont pas prêts à concevoir » a expliqué la militante. CQFD.

Antony Drugeon, le 9 novembre 2008

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Oct 27, 2008
Quand la diplomatie du makrout pédale dans la semoule

Antony Drugeon
L'engouement des Français pour la nourriture marocaine ne profite guère au Maroc. Photo : Antony Drugeon (CC)

La nourriture marocaine serait-elle en passe de perdre son rayonnement international ? Plongée dans le secteur alimentaire marocain d’Aix-en-Provence, en France.

« Vous représentez le Maroc mieux que moi » aurait reconnu M. Sijilmassi, l’ambassadeur du Maroc en France, après un repas au Riad, l’un des restaurants marocains les plus renommés d’Aix-en-Provence (sud de la France), s’adressant à son propriétaire. C’est du moins ce que se plaît à raconter celui-ci, Ali Az-Ziani, avec une fierté très peu contenue. Et force est de constater que les premiers ambassadeurs du royaume chérifien à l’étranger sont les restaurateurs et les pâtissiers marocains. En effet, en France, la nourriture et la décoration orientale sont généralement qualifiées de marocaines, au point que Sabine Calstier, gérante du magasin d’ameublement et décoration syro-libanais Au pays des merveilles, à Aix, s’en exaspère. « Les clients se disent toujours pouvoir trouver moins cher en allant au Maroc ! » explique cette commerçante positionnée sur le haut standing et le design dernier cri.

A la pâtisserie marocaine Mosaïque, dans la rue Van Loo, la popularité du Maroc auprès des Français confine même à la ferveur. Dans un local étroit mais propre, aux murs carrelés de motifs traditionnels marocains, une vitrine impeccable abrite diverses assiettes recouvertes de cellophane. Cornes de gazelle, chabakias, khmissettes, mchweks, baklavas et montecaos s’y laissent admirer en ordre de bataille. Un grand plat contient msemmens, baghrirs et autres pastillas. Installée derrière sa table en fer forgé, son verre de thé à la menthe à la main, Jacqueline, 59 ans, se rêve propriétaire des lieux : « Bonjour ! » lance-t-elle aux clients qui entrent. Cette habituée ne tarit pas d’éloges sur la maison et ses pâtisseries, qui « ne sont pas du tout dégoulinantes de miel comme se l’imaginent la plupart des gens ».

Une réputation imméritée ?

Cependant le Maroc jouit d’une renommée qui le dépasse désormais. En effet, les produits marocains sont loin de se tailler la part du lion dans les épiceries orientales. Ali Az-Ziani, également propriétaire de la pâtisserie Mosaïque, confie : « Pour les matières premières, nous nous fournissons auprès d’un grossiste turc qui fait autorité sur le secteur ; il n’y a pas d’équivalent marocain, car le Maroc ne fait rien pour se mettre en valeur ». Et de pester contre les autorités marocaines, qui n’apportent « aucune aide, mais au contraire qui cassent les pieds à la douane ». L’épicerie orientale la plus fréquentée d’Aix-en-Provence est vraisemblablement La corbeille d’Orient, rue des Cordeliers. Le son de cloche n’y est pas plus encourageant. Entre les grands sacs de semoule, les odorants bocaux de raisins secs, le savon noir, les falafels et le boulghour, son gérant, M. Charkrajian, explique que ses produits proviennent de nombreux pays, mais que le Maroc n’y joue qu’un faible rôle. En effet, la production chérifienne s’y résume aux dattes, lorsque c’est la saison, et… au vin. Même le safran provient d’Iran.

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Ce restaurant marocain d'Aix-en-Pce vise une cible à fort pouvoir d'achat. Photo : Antony Drugeon (CC).

Le rayonnement international du Maroc reposerait donc sur Boulaouane, mais aussi sur la harira. Laquelle est en effet produite à El Jadida par Maggi, du groupe suisse Nestlé, mais simplement pour que celui-ci aie le droit d’utiliser l’appellation « harira ». Un sombre tableau que ne rejette pas Gilles Guillem. Ce marchand d’olives depuis 22 ans tient un étal sur le marché du boulevard de l’Europe, presque exclusivement dédié aux olives. Celles-ci proviennent toutes du Maroc, « parce qu’il y a une vraie diversité là-bas » explique-t-il. Tout en réajustant l’écriteau « olives mixtes à la harissa du Maroc », il ajoute « ce n’est pas comme ici en Provence, que les gens persistent à percevoir comme le pays de l’olive ». Pourtant, poursuit-il, « le Maroc ne fait rien pour encourager les exportations, il n’est là que empocher des tarifs douaniers très élevés ». Quelques étals plus loin, Cyrille Giudalia, 32 ans, se veut encore plus alarmiste. Derrière ses sachets de ras el hanout, cet épicier spécialisé en produits orientaux importés explique d’abord que « les personnes âgées, qui ont le temps de cuisiner, sont ravies de découvrir les saveurs du Maghreb ». Mais, du fait de cette demande, les supermarchés commencent à sentir l’émergence d’un marché nouveau. Ceux-ci produisent désormais eux-mêmes ces produits, avec une qualité parfois inégale, et vendraient à perte, spécialement pour Noël et le Ramadan. « Notre chiffre d’affaire, normalement élevé à ces périodes, a été divisé par deux » déplore-t-il. Les exportateurs marocains apprécieront.

Antony Drugeon, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, le 25 octobre 2008

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Oct 23, 2008
Salman Rushdie, le conteur passionné

Salman Rushdie. Photo : Antony Drugeon (CC)
Salman Rushdie. Photo : Antony Drugeon (CC)

A l’occasion de la sortie de son nouveau livre, L’enchanteresse de Florence, l’écrivain indien Salman Rushdie était l’invité de la Fête du Livre, à Aix-en-Provence (sud de la France), du 17 au 19 octobre.

Un homme assis face à un mur d’yeux. Le regard serein et rieur à la fois, les paupières presque tombantes, Salman Rushdie fait figure de patriarche érudit. L’homme sait captiver son auditoire sans jamais se départir pour autant de sa nonchalance. Sa notoriété se charge, seule, de saisir l’attention de la foule, venue remplir l’amphithéâtre où se tient sa conférence.

Mais qui est Salman Rushdie ? Le nom de l’écrivain a beau être irrémédiablement associé à la fatwa de l’ayatollah Khomeyni, suite à la publication des Versets sataniques en 1988, il n’en reste pas moins empreint de mystère. Comme si cette publicité retentissante avait éclipsé tout le reste. Nombreux sont ceux qui voient en lui un essayiste spécialiste du blasphème, que ce soit pour l’en féliciter ou l’en blâmer. « A cause de la fatwa, beaucoup de gens m’ont pris pour un auteur religieux, ennuyeux, et incompréhensible, à l’image de ceux qui m’attaquaient » déplore l’écrivain indo-britannique, qui considère que « cette ombre portée sur mon œuvre est pire que la fatwa elle-même ».

Salman Rushdie. Photo : Antony Drugeon (CC)
Salman Rushdie. Photo : Antony Drugeon (CC)

A l’occasion de la traduction en français de son dixième roman, L’enchanteresse de Florence, Salman Rushdie rappelle au lectorat francophone qu’il n’en est rien. Ce roman historique plonge le lecteur à la charnière des XVe et XVIe siècles, entre la Florence des Médicis et l’Empire Moghol où règne le puissant Akbar. Mais il est imprégné de contes d’amour, de trahison, de pouvoir, de magie et de sorcellerie, tous plus enchanteurs les uns que les autres. Le roman s’inspire ouvertement des Mille et une nuits, et entraîne le lecteur dans les histoires du narrateur, emboîtées les unes dans les autres. Le seul moyen pour cet énigmatique beau parleur de sauver sans cesse sa vie auprès de l’empereur moghol, tel Schéhérazade.

Salman Rushdie, un mystique qui s’ignore ?

L’enchanteresse de Florence mêle donc la fiction à l’Histoire. « Quelques libertés ont été prises avec l’Histoire, dans l’intérêt de la vérité », avertit, insolent, l’auteur, dès la première page. Une façon pour Salman Rushdie, natif de Bombay, de se situer au confluent de la rationalité et de l’émerveillement, de l’Occident et de l’Orient. Non pour les opposer, mais plutôt pour les faire se rencontrer. « Du fait de ma position personnelle, entre les cultures indienne et anglaise, j’ai toujours voulu écrire sur les rencontres entre des mondes différents » explique Salman Rushdie.

Antony Drugeon
Salman Rushdie. Photo : Antony Drugeon (CC)

Une rencontre physique imaginée de toute pièce pour  le bienfait de l’histoire, mais qui sert de prétexte à une réelle comparaison entre les Renaissances italiennes et mogholes d’alors. « Ce qui m’intéressait dans cette époque, c’est qu’en ces deux endroits, on y assiste au développement de la valeur individuelle, à l’éloignement de l’idée de la religion et du groupe » développe l’auteur, qui se réjouit de voir « la vie sensuelle triompher dans les deux cas ». L’individualisme et l’enchantement réunis, en quelque sorte.

Salman Rushdie serait-il un mystique ? Il s’en défend, lui qui souligne « [venir] d’un pays frappé par les gourous », mais reconnaît que « l’écriture permet de combler le vide laissé par la mort de Dieu ». L’univers délirant sorti de son esprit permet, « comme la religion pour d’autres », d’approcher « cette part d’immatériel et d’irrationnel qui nous anime tous ». D’ailleurs, s’il ne goûte guère à la superstition dans la « vraie vie », il admet être particulièrement friand de « sorcellerie, de miracles et de mythologie » dans son écriture.

Antony Drugeon
Salman Rushdie. Photo : Antony Drugeon (CC)

« Franchir la ligne », tel est son leitmotiv. Car il refuse de soumettre la créativité de l’écrivain à quelque cause que ce soit. Ni la patrie, ni, bien sûr, la religion. L’auteur de Franchissez la ligne est formel : « C’est absurde de parler de responsabilité pour l’écrivain, il n’y a que l’inspiration qui compte ». C’est donc tout naturellement que Salman Rushdie soutient la publication des caricatures de Mahomet. « Il serait tout à fait inacceptable de ne pas les publier » tranche-t-il, argumentant que « répondre à la violence en se soumettant ne permet pas d’avoir la paix, il faut même les republier ! ». Celui dont la vie et l’œuvre font un pont entre l’Orient et l’Occident n’ignore pas que nombreux sont ceux qui « rejettent le mélange des cultures, l’enrichissement mutuel », mais il leur signale qu’ils ne pourront pas « uniformiser le monde » et leur conseille donc de faire avec. Un simple conseil de patriarche, pas une fatwa.

Antony Drugeon, le 23 octobre 2008

Salman Rushdie, L’enchanteresse de Florence, 2008, éditions Plon.

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Sep 27, 2008
A Oujda, petits trafics entre habitués
Antony Drugeon
Trafic d'essence à Oujda. Crédit photo : Antony Drugeon.

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Sep 13, 2008
La double peine des mères célibataires

Plus de 5000 mères célibataires vivent dans les rues de Casablanca avec leurs bébés. C’est l’Institution Nationale de Solidarité Avec les Femmes en détresse (Insaf) qui en a fait l’écho récemment. Un chiffre alarmant et certainement sous-évalué sachant qu’il est extrêmement difficile d’établir des statistiques fiables sur un phénomène encore tabou. Pourtant, il est là. Visible à chaque coin de rue. Pour Aïcha Chenna, présidente de l’association Solidarité féminine, « la rue c’est là qu’atterrissent automatiquement les filles enceintes quand le père manque à l’appel ». Du moins le temps de trouver un asile, chez une amie ou une cousine, avant de se retrouver chez un placeur de bonnes. D’autres se donnent la mort ou abandonnent leurs bébés. « Quand on les reçoit, on a devant nous des femmes brisées qui n’ont plus de respect pour leur corps. Elles se perçoivent comme des hacharates, des insectes » ajoute Aïcha Chenna.

Mosquées, gare routières…

Ce n’est pas Fatema, la mère du petit Anas, qui risque de la contredire. Après avoir été violée par son cousin, elle quitte la maison parentale à Sidi Hajjaj près de Settat et rallie Casablanca. « Il fallait que je parte quelque part où personne ne me reconnaîtrait » se souvient-elle encore. La jeune fille qui n’avait pas encore 20 ans survivait grâce à la mendicité. Elle passait la nuit dans un endroit désert à Bouskoura, « afin de ne pas être la cible d’un chemkar ». En tout et pour tout, six mois dans la rue avant le jour de l’accouchement. A l’hôpital, d’autres mères vont lui parler des associations d’aide pour mères célibataires. Aujourd’hui, forte d’une petite formation chez Solidarité féminine, Fatema est cuisinière dans un grand restaurant de la place. Sa famille ignore toutefois l’existence du petit Anas, aujourd’hui âgé de 8 ans. « Ils vont définitivement me rejeter si je leur raconte cette histoire. Je veux tout simplement m’occuper de mon enfant. Et surtout ne plus avoir d’homme dans ma vie » lâche-t-elle convaincue.

D’autres mère célibataires n’ont pas eu la chance de Fatema. A la gare routière de Ouled Ziane, où tout le Maroc converge, comme à proximité des hôpitaux et des mosquées, on remarque l’existence de petits groupes de femmes et d’enfants. Des dizaines de mères célibataires ont élu domicile à Ouled Ziane. « Nous avons travaillé en collaboration avec le Samu sur ces cas. Cette communauté est principalement formé de mendiantes, mais on retrouve aussi des ouvrières et des prostituées », explique Saïda Bajjou, assistante sociale à Insaf. « Elles ne s’éternisent pas à la gare routière. Quand une jeune fille peut se trouver une adresse chez une copine ou chez quelqu’un de la famille, elle n’hésite pas à quitter les lieux. A Ouled Ziane, on assiste à une double tragédie : des mères sans foyers et des enfants de la rue. Puis il y a le danger imminent d’être victime de viol, parfois collectif », ajoute une autre assistante d’Insaf. L’ONG qui existe depuis 1999 leur assure l’hébergement mais aussi les suivis médicaux et psychologiques, l’accompagnement juridique et une insertion familiale ou professionnelle.

L’honneur des Marocains

Selon une étude réalisée par l’association, l’année dernière, sur un échantillon d’un peu moins de 500 mères célibataires, 81% n’ont pas atteint le niveau secondaire, et 42% sont analphabètes. Par ailleurs, ces femmes, souvent, sont encore de jeunes filles : 9% ont entre 14 et 18 ans, 55% ont de 19 à 26 ans, seules 36% ayant plus de 27 ans. Jeunes et peu instruites, ces femmes sont des femmes de ménage, ou bien plutôt des « petites bonnes » pour 27% d’entre elles selon cette même étude, les ouvrières représentant 24% des effectifs ; le reste étant composé de chômeuses (27%), de situations diverses (14%) et de prostituées (8%). « Les petites bonnes ne savent même pas si l’abus sexuel fait partie ou pas de leur travail » explique Saïda Bajjou. La même situation se retrouvant avec les ouvrières dans les usines textiles des quartiers industriels de Casablanca. Aïcha Chenna rajoute que « toutes les petites bonnes ne sont pas violées, même si c’est très répandu. Elles sont surtout très jeunes, naïves, manquent d’affection, et sont d’autant plus sensibles aux mots d’amour du premier garçon venu leur promettre le mariage ».

Car si le viol est une réalité bien connue, l’essentiel des cas de mères célibataires, selon une enquête réalisée en 2002 par SOS villages d’enfants dans la wilaya du grand Casablanca (sur un large échantillon de 5040 mères célibataires) est constitué de promesses de mariages non tenues (75%). Un constat qui renvoie à la schizophrénie de la société marocaine : « Le problème de la virginité est central. Il y a vraiment une hypocrisie sur cette question au Maroc ». L’honneur de la famille étant considéré comme atteint, de nombreuses filles fuient celle-ci quand elles ne parviennent plus à dissimuler leur ventre rond. Un déchirement supplémentaire, que la famille entérine parfois sans peine : ainsi Nour, 19 ans, a-t-elle tremblé en entendant sa mère au téléphone proclamer qu’elle considérait sa fille comme « morte » au premier contact de réinsertion que l’association Insaf a entrepris avec sa famille.

La naissance de l’enfant est à ce point problématique pour ces femmes qu’elles le nomment spontanément « lmouchkil » (le problème), rapporte Aïcha Chenna. Paradoxalement, les inconnus sont les plus accueillants : Saïda Bejjou assure que « les mères célibataires ne sont jamais seules dans la rue, il y a une véritable solidarité parmi les gens de la rue, les voisins. On ne rejette pas une mère célibataire… tant que ce n’est pas sa propre fille ! » La solidarité des anonymes et des associations joue ici un rôle si crucial qu’on cherche l’engagement de l’Etat sur cette question. Les subventions étatiques rentrent dans le financement de ces associations, mais il n’existe pas encore de centres d’accueil proprement publics. Du moins pas encore, rassure Nouzha Skalli, ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité : « Le ministère travaille à la création de 16 centres d’accueil et d’hébergement, et soutient des associations d’aide aux mères célibataires ». Saïda Bejjou ne se fait pas d’illusion, sur ce sujet sensible : « L’Etat devrait au moins nous faciliter les procédures administratives et juridiques pour l’établissement de l’état civil au lieu de nous mettre des bâtons dans les roues ».

L’une des revendications majeure des associations de soutien aux mères célibataires est notamment l’obligation des analyses ADN pour les hommes suspectés d’être le père de l’enfant, de façon à lutter contre le phénomène des enfants nés sous X. Aujourd’hui, ces tests ne sont ordonnés que dans le cas de viol ou de fiançailles. Et surtout briser le tabou des cours d’éducation sexuelle à l’école, et sans doute aussi par des campagnes de communication audiovisuelle pour toucher les filles déscolarisées. Car pour le moment, les seuls enseignements dispensés sont les cours très théoriques (et très pudiques) de sciences naturelles. Un constat partagé par Nouzha Skalli : « La plupart des mères célibataires ne sont pas assez informées en matière de contraception. Il nous faudra briser les tabous et généraliser ces enseignements même dès l’école primaire. Mais le risque que les moralisateurs crient au loup est réel, alors il faut mieux ne pas faire trop de publicité autour de tout cela. » La révolution des mentalités avance sur la pointe des pieds.

Antony Drugeon et Hicham Houdaïfa, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, le 13 septembre 2008

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Août 26, 2008
L’économie ne ment pas… selon Guy Sorman

Essai

L’économie ne ment pas, Guy Sorman, éditions Fayard, 2008.

Ode au libéralisme

On croyait l’économie en plein désarroi face aux crises à répétitions. Pas du tout selon Guy Sorman, qui affirme la victoire du courant libéral.

L’économie, longtemps présentée comme la plus scientifique des sciences humaines, est régulièrement dépeinte comme en plein désarroi. Les théories libérales ou interventionnistes auraient montré leurs limites, et seraient en pleine synthèse. Une vision rejetée vivement par l’essayiste français Guy Sorman, qui tente ici une réhabilitation tonitruante du libéralisme, qui selon lui se confond désormais avec l’économie. «L’économie est désormais une science» plaide-t-il. Science exacte nourrie de chiffres, dont «l’objet est de distinguer entre les bonnes et les mauvaises politiques». Multipliant les références aux figures majeures de la science économique, plus ou moins célèbres, l’ouvrage se lit davantage comme un essai que comme un manuel d’économie, privilégiant la fluidité de l’argumentation à la démonstration méticuleuse.

Totalitarisme vert ?

C’est ainsi que l’auteur brocarde l’intervention de l’Etat dans l’économie, désormais reconnue par tous comme «inefficace et soumise à des intérêts électoraux», ou bien justifie la lutte contre l’inflation si souvent décriée, notamment en Europe. L’ouvrage a également le mérite de traiter, au-delà des questions purement économiques, des fondements philosophiques du libéralisme, en empruntant à de nombreux auteurs. L’individualisme de l’Occident chrétien y est ainsi présenté comme le fondement de la société par contrat, cadre nécessaire de l’essor économique, tandis que la société judéo-musulmane traditionnelle ferait reposer les relations économiques sur des liens familiaux et communautaires. La réflexion renouvelle également le débat sur l’interdépendance de l’économie de marché et de la démocratie, ou encore sur la rationalité des acteurs. Quitte à déranger, en démontrant que les riches divorcent moins que les pauvres «parce qu’ils ont davantage à y perdre», que la criminalité s’explique par un arbitrage intérêt/coût des plus rationnels aussi, ou encore que la légalisation des drogues serait une bonne mesure du point de vue économique comme politique.

Le livre explore en outre les ressorts du développement des pays émergents tels que la Turquie, l’Inde, la Chine, la Russie et le Brésil, comme autant de pierres à rajouter à son édifice, et qui introduisent le lecteur dans les ressorts trop souvent méconnus du développement économique de ces pays émergents. Dense, l’ouvrage se penche en outre sur l’écologisme et le spectre du «totalitarisme vert», analysant les limites économiques de la politique de lutte contre le réchauffement climatique.

Mais ce que l’ouvrage a gagné en clarté, il l’a sans doute perdu en rigueur. Guy Sorman a l’audace d’attaquer les «mythes révolutionnaires», mais il privilégie quelquefois une approche si doctrinale qu’elle tombe également dans l’idéologie. Les argumentations, bien que brillantes et chiffrées, auraient gagné à être nuancées, là où souvent l’auteur présente ses affirmations comme reconnues par tous les économistes, même les plus polémiques. Le très controversé Milton Friedman est ainsi présenté comme celui qui a fait le consensus dans la science économique contemporaine.

Libéralisme, avant-gardisme ?

Le principal reproche auquel s’expose L’économie ne ment pas est d’ordre lexical : à confondre (volontairement) économie, libéralisme, et capitalisme, l’ouvrage défend la thèse que l’économie est une, qu’un seul système est valable. Si la faillite du système socialiste soviétique fait en effet peu de nostalgiques, l’économie de marché est en revanche loin d’être monolithique. L’auteur passe sous silence la diversité des capitalismes (anglo-saxons, rhénans/sociaux-démocrates, nippons, etc.) et n’admet les réserves à l’égard du libéralisme anglo-saxon, telles que le rôle de l’Etat dans l’économie, notamment par l’Etat-Providence, que de façon détournée.

Il est en outre troublant que le livre n’aborde pas frontalement les reproches qui sont faits au libéralisme dans le contexte des crises financières à répétition que connaît le monde depuis les années 80, et en particulier la crise des subprimes depuis un an. «Les bénéfices globaux des nouveaux instruments financiers ont dépassé les coûts. Le débat, subsidiaire, ne porte que sur le degré de transparence et de réglementation nécessaire au bon fonctionnement de ces nouveaux marchés financiers» écrit ainsi l’auteur.

Mais c’est précisément le choix de s’inscrire en porte-à-faux avec le discours ambiant hostile à la mondialisation qui structure cet ouvrage iconoclaste, qui revendique l’accroissement des inégalités en contrepartie de la réduction de la pauvreté. Un choix élitiste, d’un auteur qui conspue «les journalistes et les politiciens fascinés par les mini-crises de conjoncture et les cycles courts» et qui assume clairement sa préférence pour le modèle libéral américain. Un modèle qui a fait les preuves de sa supériorité selon lui, mais que peinent encore à admettre les politiques économiques et les opinions publiques : «un décalage caractéristique de tout changement de paradigme».

Antony Drugeon, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, 26 août 2008

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Juil 26, 2008
Meurtre en famille à l’hôpital
Personnel de l'hôpital Ar-Razi rendant hommage à Abdallâh Fajri. Photo : Hôpital Ar-Razi.
Emotion parmi le personnel de l’hôpital psychiatrique Ar-razi de Salé. Photo : Hôpital Ar-Razi de Salé

Le meurtre sauvage d’un infirmier à l’hôpital psychiatrique Ar-Razi de Salé interpelle les milieux hospitaliers.

Le surveillant de l’hôpital psychiatrique Ar-Razi de Salé parle la voix chargée d’émotion : «C’est un drame, on le connaissait parfaitement, ça faisait 34 ans qu’il travaillait là» déplore-t-il, brassard noir au bras. Abdallâh Fajri, 54 ans a en effet été tué dans la nuit du samedi 12 au dimanche 13 juillet. Cet infirmier a reçu des coups mortels de la part d’un malade. Les agressions ne sont pourtant pas un fait exceptionnel dans un hôpital psychiatrique comme celui-ci : «tous les jours on fait face à des agressions et des insultes» rappelle Jallal Tawfiq, directeur de l’établissement.

Samedi 12 juillet, vers 23h, arrive au service des urgences de l’hôpital Ar-Razi un homme agité, qui pourrait avoir été sous l’emprise de narcotiques, accompagné de sa mère et de trois hommes dont deux étaient ses frères. Seuls quatre membres du personnel sont alors présents dans le bâtiment. Une femme médecin administre un calmant au malade, qui s’apaise. C’est alors que la famille, d’après les premiers éléments de l’enquête, proteste contre l’absence de lit pour une hospitalisation immédiate, insultant et menaçant le personnel. Le ton monte tellement que le malade s’excite et commence à saccager le bureau et à frapper le personnel. Pire, la famille ferme la porte de l’établissement, empêchant tout renfort de porter secours aux quatre employés sur place – la médecin, l’infirmier, un agent technique et un agent de sécurité. L’infirmier s’interpose entre le malade et la doctoresse, et reçoit plusieurs coups. Ils s’avéreront mortels, Abdallâh Fajri décédant vers minuit, vraisemblablement d’une hémorragie cérébrale. Après avoir pris la fuite, le malade et sa famille reviennent sur les lieux et se rendent à la police.

Moins d’une semaine après le drame, le personnel de l’hôpital reste particulièrement choqué par le drame. «Vous êtes journaliste… vous êtes venus pour… ce qui c’est passé ?» demandent le regard grave les infirmiers et surveillants. A l’évocation de cet événement, les visages se ferment, mais se font plein de sollicitude. «Il faut que ça se sache» dit calmement une infirmière. Car derrière ce fait divers, c’est tout l’hôpital qui montre ses failles. A tel point que Nadira Barkallil, présidente de l’association Al Balsam (association de proches de personnes en souffrance psychique) se déclare «malheureusement pas du tout surprise par ce drame». Car l’hôpital psychiatrique est l’éternel parent pauvre du système de santé publique national, dénonce-t-elle.

Manque de moyens ?

Une fois encore, cette affaire pose la question des effectifs de sécurité d’une part et de personnels soignants d’autre part, en nombre insuffisant ce soir-là. Mais c’est aussi la saturation des hôpitaux qui est pointée du doigt par ce fait divers : «Nous n’avons que 176 lits opérationnels pour couvrir les deux régions administratives de Rabat-Salé-Zemmour-Zaërs et de Kénitra, avec un déficit de 22 infirmiers pour assurer ne serait-ce qu’un fonctionnement minimum de l’hôpital» déplore M. Tawfiq, appelant toutefois à éviter toute récupération syndicale de drame.

Car précisément l’affaire prend une résonance syndicale. La coordination syndicale CDT, FDT, UMT, UGTM, UNTM a appelé jeudi 17 juillet l’ensemble des personnels hospitaliers du pays à organiser un sit-in d’une heure, « pour protester contre le meurtre d’Abdallâh Fajri ». Pour Moustafa Chanaoui, médecin membre du Syndicat National de la Santé Publique, affilié à la CDT, il s’agit de «protester sur l’absence de sécurité,

Antony Drugeon

d’attirer l’attention des décideurs sur ces questions pour qu’ils y répondent, et de manifester notre émotion, notre solidarité».

Du côté du ministère de la Santé, on refuse de relier le drame du samedi 12 juillet aux maux de la Santé publique : «ce fait divers engage avant tout la responsabilité de ses auteurs ; le plan national de santé mentale est global, réfléchi, intégré, il n’y a pas lieu de le relier à ce fait divers» martèle M. El Makaoui, secrétaire général du ministère de la Santé.

Toutefois, la ministre de la Santé Yasmina Baddou a pris soin de déminer le terrain. En rendant visite au personnel et à la famille de la victime dès le lendemain du drame. Sur place, des agents de sécurité supplémentaires ont été dépêchés, et un policier chargé de garder l’entrée. Reste à espérer que les mesures d’urgence et l’émotion se pérenniseront en véritable effort de remise à niveau des hôpitaux publics.

Antony Drugeon, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, 26 juillet 2008

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Juil 12, 2008
Profil bas pour Al-Jazira

Stratégie tout en humilité pour Hassan Rachidi, directeur du bureau d’Al Jazira de Rabat, inculpé pour propagation de « fausses informations » suite aux violences de Sifi Ifni, ayant fait état de « un à cinq » décès, avant de démentir. Profitant du retrait de sa défense qui protestait contre de nombreux vices de forme, Hassan Rachidi a présenté ses excuses devant la cour. Il a même délivré un certificat de patriotisme en déclarant qu’il « était fier d’être Marocain et qu’il avait été accusé à plusieurs reprises par les autorités algériennes d’être un agent des services marocains ». Pour sa défense, M. Rachidi a rajouté qu’il s’était basé sur des sources émanant « d’organisations de droits de l’homme reconnues par l’Etat et que le démenti des autorités était venu fort tard ». Il a souligné que seul le siège de la chaîne qui se trouve au Qatar pouvait présenter des excuses, suggérant même que la ligne éditoriale lui échappait et restait du ressort de Doha. Le tribunal, qui a refusé à M. Rachidi la convocation de témoins à décharge, devait délibérer vendredi 11 juillet.

Antony Drugeon, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, 12 juillet 2008

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Juil 12, 2008
Grève au sein de la rédaction d’Al Bayane

Journalistes Les raisons de la colère

Avis de tempête au sein de la rédaction d’Al Bayane. Le quotidien de gauche est secoué par un mouvement social, qui l’accuse de détourner les cotisations CNSS et CIMR de certains salariés et de ne pas respecter le salaire minimum défendu par la convention, selon Nouri Hakim Benslimane, journaliste à Al Bayane et membre du Syndicat National de la Presse Marocaine. Parallèlement, les journalistes femmes de la rédaction dénoncent « un traitement basé sur la discrimination » déplorant « harcèlement moral, […] humiliation » et inégalités face aux congés. Une grève d’une heure devait être observée vendredi 11 juillet. Le conflit avait déjà provoqué une grève semblable le 27 juin. « A l’avenir nous envisageons d’organiser une conférence de presse pour alerter l’opinion sur la situation, si rien ne bouge » avertit Soumia Yahia, journaliste à Al Bayane. Accusations que rejette Ahmed Zaki, directeur de la publication d’Al Bayane : « personne n’est sous payé, certains veulent simplement ne pas être au salaire minimum », ou qu’il avoue « ne pas comprendre : depuis 2003 nous avons justement régularisé la situation des cotisations ». Quant aux femmes, M. Zaki parle de mises en garde régulières, faute d’assiduité. Un vrai dialogue de sourds.

Antony Drugeon, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, 12 juillet 2008

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Juil 5, 2008
Dans la rue, l’art revivifié

Que le spectacle aille aux spectateurs, et non l’inverse : tel est le principe du festival Awaln’art

Celui-ci s’est tenu à Marrakech et ses environs pendant dix jours, du 24 juin au 3 juillet. Les localités de Tamesloht, Aït Ourir, Tahanaoute et Aghmat en particulier furent durant ces quelques jours les hôtes singuliers de ce festival tout aussi singulier. Théâtre, spectacles de marionnettes, chants, musique, danse, acrobaties, contes auront ainsi animé l’espace public sous l’œil surpris et intrigué des anonymes, voyant leurs rues et places devenir des lieux de spectacles.

Un festival atypique donc, qui investit les lieux les plus reculés pour affronter des publics loin d’être avertis. Toute une démarche pour la compagnie italienne Artificio 23, dont la chorégraphe Michela Lucenti explique : «Nous souhaitons expérimenter l’association de la danse et de l’acrobatie, et pour cela nous avons besoin de nous confronter au public partout, et pas forcément dans les grands théâtres d’Europe ; nous nous représentons également dans des lieux difficiles comme les prisons, les hôpitaux, les asiles» Et le village reculé de Tamesloht. «Une première» avoue-t-elle, rajoutant «qu’ici, les gens sont purs, ce n’est pas comme avec les publics guindés de Paris ou d’Avignon». Le festival donne en outre sa chance à des artistes encore peu connus. A relever le spectacle Koulouskout ou applaudis, à la croisée du théâtre et de l’acrobatie, de la compagnie française Cabas. Un spectacle écrit et interprété par deux Franco-Marocaines, Sophia Perez et Nedjma Benchaïb, cette dernière étant également algérienne, sur le thème de la double identité. Alternant prises de paroles, acrobaties et danse, ces jeunes artistes issues de l’Ecole Nationale des Arts du Cirque en France dressent un portrait tout en sensibilité des interrogations qui peuvent traverser des jeunes maghrébines en France : faut-il mentir à ses grands parents quand on mange du porc, fume des cigarettes ? comment être proche de sa famille avec la barrière de la langue et un autre rapport aux mœurs / à la religion ? Si l’on est pas vraiment des Arabes, ni des Françaises, qui sommes-nous ?

Pyramide humaine, lors du festival Awaln'art. Photo : Antony Drugeon (CC)

Cette deuxième édition du festival Awaln’art a également confirmé l’hommage rendu à l’Afrique, avec la présence de pas moins de quatre troupes africaines, comme un moyen de souligner l’africanité du Maroc. Les rythmes des percussions africaines, et notamment les tam-tams des Sénégalais de Africa Djembé ont su toucher le public peu habitué à ces sonorités lointaines, tandis que les danseuses rivalisaient entre elles de défis de danse extatique, presque mystique. Les Maliens de la compagnie Sogolon ont su quant à eux avec leur spectacle La calebasse d’or emporter leur public dans une rêverie où les animaux de la jungle et les danseuses donnent toute leur magie à la musique et aux décors traditionnels.

Réhabiliter la halqa

Car le spectacle dans l’espace public est sans doute ce qui rapproche le plus les traditions marocaines et subsahariennes : la halqa (cercle) qui se forme autour du conteur sur la place publique n’a t-elle pas valu à la place Jemaâ El Fna de Marrakech d’être classée patrimoine oral et immatériel de l’humanité ?

La disparition progressive des conteurs récemment décriée est d’ailleurs l’une des raisons d’être du festival : Khalid Tamer, directeur artistique du festival, déplore en effet cette disparition. La faute à la télévision ? «Non, la responsabilité n’est pas celle de la télévision, les gens ont besoin d’un festival comme ça, le Maroc en a besoin, le problème c’est tout simplement qu’il n’y a plus de transmission de ces savoirs faire et de ces arts-là» argumente Khalid Tamer, qui veut profiter du festival pour monter un centre de formation pour ces arts populaires.

Le conte populaire, figure majeure de l’art de rue, était défendu par sept étudiants de l’ISADAC (Institut Supérieur d’Art Dramatique et d’Animation Culturelle) de Rabat présentant le spectacle Joha notre contemporain. Sanae Bahaj, 22 ans, a ainsi réactualisé les contes de Joha en écrivant sept petits récits permettant aux personnages de l’ouléma Nasr Eddine Hodja d’aborder des problématiques telles que l’égalité homme / femme ou le conflit des générations, chaque étudiant racontant l’un de ces récits, interpellant le public à la recherche de Joha et suscitant sans peine l’hilarité générale, donnant ainsi tout son sens à l’esprit de l’art de rue.

Photo : Antony Drugeon (CC)
Comédien masqué, festival Awaln'art. Photo : Antony Drugeon (CC)

Sans doute on regrettera que la programmation aie fait la part belle aux troupes étrangères, africaines ou européennes, d’où quelquefois une frustration du public face à la barrière de la langue. Mais Khalid Tamer l’assure : «pour la prochaine édition on essaiera d’inviter plus d’artistes marocains».

En revanche, le choix de la confrontation directe avec le public dans l’espace urbain, qui fait l’identité même de ce festival, est appelé à se pérenniser. Ce qui permettra au festival de devenir un rendez-vous tout en générosité et spontanéité sur l’agenda culturel, aux côtés des grosses machines que sont les festivals grand public.

Antony Drugeon, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, 5 juillet 2008

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Juin 28, 2008
Binationaux : des Marocains comme les autres?

En accusant de racisme la chaîne 2M qui l’a écarté, le réalisateur belgo-marocain de la série Rhimou Ismaël Saïdi jette un pavé dans la mare. La politique nationale à l’égard des MRE est mise en cause.

Le mot racisme peut sembler extravagant en l’espèce. Quoiqu’il en soit, les Marocains Ressortissants de l’Etranger (MRE) qui ont décidé de s’installer dans le pays de leurs origines sont constamment renvoyés à leur double nationalité. Nés à l’étranger souvent, ou partis pour de longues années, le plus souvent en Europe et plus spécifiquement en France, «ces MRE ont pourtant bien conservé la culture de leur pays d’origine» explique le psychosociologue Abdelkrim Belhaj, pour qui «c’est surtout dans la perception des Marocains que réside le préjugé». C’est in fine le regard qui pose une barrière davantage que de réelles différences : «l’existence de stéréotypes est en fait le principal frein à la réintégration» poursuit M. Belhaj.

Les stéréotypes en question, Bouchra El Haoudi en connaît la teneur. A 32 ans, et au Maroc depuis moins d’un an, cette casablancaise d’adoption ayant grandi en France déplore la persistance du «complexe du colonisé», qu’elle soupçonne de lui ouvrir des portes. Tarik Chikhi, 28 ans, franco-marocain installé au Maroc depuis 2 ans, l’a clairement vérifié. Son employeur, une grande entreprise française, lui a avoué sans détour qu’il avait été embauché en partie pour sa binationalité, rajoutant même «que les Marocains, [il] allait en France pour les chercher.» La binationalité en tant que piédestal, en somme. Selon Abdelkrim Belhaj, le fait d’avoir vécu en Europe confère une aura de rationalité très prisée par les entreprises : «C’est une question de logique ; la logique européenne est celle des entreprises qui sont en relation avec l’Occident, et qui recherchent des esprits calqués sur le modèle européen». Mais le piédestal a son revers : «On peut te mépriser ou te dérouler le tapis rouge» explique Bouchra. Tarik de son côté s’agace du terme zmigri (émigré) qui lui est régulièrement renvoyé.

Marhaba aux MRE, ou à leur argent ?

Le réalisateur Ismaël Saïdi, à qui l’on doit la série Rhimou diffusée jusque-là sur 2M, est quant à lui allé jusqu’à déclarer récemment en interview avoir été traité de «petit bouseux de belge de m…» du fait de sa double nationalité belge et marocaine. Un rejet extrême qui reste rare. Pour Tarik, mettre en avant son identité française, parler français, c’est clairement s’exposer à une réaction froide. En particulier avec l’administration : « Bien que mon passeport français soit normalement suffisant pour rentrer au Maroc, j’ai toujours été contraint de rajouter ma carte nationale avec ». En l’absence de celle-ci, Tarik devait paradoxalement se dire Algérien ou Tunisien pour calmer policiers et douaniers. Lesquels, par délit de faciès caractérisé, obligent en effet tout «beur» à donner les prénoms de ses parents et à s’expliquer sur sa non-possession de carte nationale.

Si on renvoie donc le zmigri à ses origines, on ne se prive pas pour en faire un étranger en d’autres circonstances. Samya Baraka, 29 ans, franco-algérienne installée au Maroc, a beau avoir marocanisé son arabe, on fait parfois d’elle une française davantage qu’une maghrébine : «il m’est arrivé qu’on parle de moi comme d’une nissrania (chrétienne) parce que j’avais parlé français ; j’étais outrée !».
Dans ces conditions, difficile de comprendre les difficultés d’intégration des MRE s’installant au Maroc sans pointer du doigt la politique menée à leur égard. Une politique dont le cadre a été fixé par Hassan II, qui en 1989 déclarait à la télévision française : «Je suis contre l’intégration. Le bon immigré est celui qui acquiert une formation, une valeur ajoutée, et qui rentre chez lui.» Et qui envoie des transferts. Opérations Marhaba successives, tentatives de stimuler les transferts via l’action culturelle des consulats auprès des Marocains de l’étranger, programme Fincom (accompagnement à l’investissement des MRE au Maroc) participent de cette politique générale qui réduit les MRE à un enjeu financier et économique, mais toujours privé du droit de vote. Cette politique est menée «depuis des années par cet esprit financier économico-social qui oublie la dimension humaine du migrant pour le réduire à des compétences et à de l’argent» dénonce M. Belhaj. Or si l’enjeu économique des transferts et des investissements provenant des MRE est bien connu, l’intégration de ceux-ci à leur retour est pensée comme allant de soi.

Pourtant, une des rares études menées en la matière, celle de l’Institut Universitaire Européen, à Florence en Italie, a établi en 2006 que 23,9% des MRE retournés au Maroc sont mécontents de leur choix, notamment en raison des difficultés d’adaptation et de réinsertion.
L’explication majeure est sans doute à chercher du côté de la tradition. Bouchra, Tarik et Samya se disent gênés qui par l’absence d’égalité homme / femme, qui par l’importance du mariage, des fêtes religieuses ou par la pesanteur de la drague. D’où un constat frappant de la part de Tarik : «parmi mes amis, beaucoup ont soit vécu en France soit sont mariés avec une française, ça nous rapproche». Reste à savoir si le retour des émigrés sera facteur de communautarisation de la société.

Antony Drugeon, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, 28 juin 2008

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