A Oujda, petits trafics entre habitués

Antony DRUGEON

Animateur de communauté associative

Sep 27, 2008
A Oujda, petits trafics entre habitués
Antony Drugeon
Trafic d'essence à Oujda. Crédit photo : Antony Drugeon.

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Sep 13, 2008
La double peine des mères célibataires

Plus de 5000 mères célibataires vivent dans les rues de Casablanca avec leurs bébés. C’est l’Institution Nationale de Solidarité Avec les Femmes en détresse (Insaf) qui en a fait l’écho récemment. Un chiffre alarmant et certainement sous-évalué sachant qu’il est extrêmement difficile d’établir des statistiques fiables sur un phénomène encore tabou. Pourtant, il est là. Visible à chaque coin de rue. Pour Aïcha Chenna, présidente de l’association Solidarité féminine, « la rue c’est là qu’atterrissent automatiquement les filles enceintes quand le père manque à l’appel ». Du moins le temps de trouver un asile, chez une amie ou une cousine, avant de se retrouver chez un placeur de bonnes. D’autres se donnent la mort ou abandonnent leurs bébés. « Quand on les reçoit, on a devant nous des femmes brisées qui n’ont plus de respect pour leur corps. Elles se perçoivent comme des hacharates, des insectes » ajoute Aïcha Chenna.

Mosquées, gare routières…

Ce n’est pas Fatema, la mère du petit Anas, qui risque de la contredire. Après avoir été violée par son cousin, elle quitte la maison parentale à Sidi Hajjaj près de Settat et rallie Casablanca. « Il fallait que je parte quelque part où personne ne me reconnaîtrait » se souvient-elle encore. La jeune fille qui n’avait pas encore 20 ans survivait grâce à la mendicité. Elle passait la nuit dans un endroit désert à Bouskoura, « afin de ne pas être la cible d’un chemkar ». En tout et pour tout, six mois dans la rue avant le jour de l’accouchement. A l’hôpital, d’autres mères vont lui parler des associations d’aide pour mères célibataires. Aujourd’hui, forte d’une petite formation chez Solidarité féminine, Fatema est cuisinière dans un grand restaurant de la place. Sa famille ignore toutefois l’existence du petit Anas, aujourd’hui âgé de 8 ans. « Ils vont définitivement me rejeter si je leur raconte cette histoire. Je veux tout simplement m’occuper de mon enfant. Et surtout ne plus avoir d’homme dans ma vie » lâche-t-elle convaincue.

D’autres mère célibataires n’ont pas eu la chance de Fatema. A la gare routière de Ouled Ziane, où tout le Maroc converge, comme à proximité des hôpitaux et des mosquées, on remarque l’existence de petits groupes de femmes et d’enfants. Des dizaines de mères célibataires ont élu domicile à Ouled Ziane. « Nous avons travaillé en collaboration avec le Samu sur ces cas. Cette communauté est principalement formé de mendiantes, mais on retrouve aussi des ouvrières et des prostituées », explique Saïda Bajjou, assistante sociale à Insaf. « Elles ne s’éternisent pas à la gare routière. Quand une jeune fille peut se trouver une adresse chez une copine ou chez quelqu’un de la famille, elle n’hésite pas à quitter les lieux. A Ouled Ziane, on assiste à une double tragédie : des mères sans foyers et des enfants de la rue. Puis il y a le danger imminent d’être victime de viol, parfois collectif », ajoute une autre assistante d’Insaf. L’ONG qui existe depuis 1999 leur assure l’hébergement mais aussi les suivis médicaux et psychologiques, l’accompagnement juridique et une insertion familiale ou professionnelle.

L’honneur des Marocains

Selon une étude réalisée par l’association, l’année dernière, sur un échantillon d’un peu moins de 500 mères célibataires, 81% n’ont pas atteint le niveau secondaire, et 42% sont analphabètes. Par ailleurs, ces femmes, souvent, sont encore de jeunes filles : 9% ont entre 14 et 18 ans, 55% ont de 19 à 26 ans, seules 36% ayant plus de 27 ans. Jeunes et peu instruites, ces femmes sont des femmes de ménage, ou bien plutôt des « petites bonnes » pour 27% d’entre elles selon cette même étude, les ouvrières représentant 24% des effectifs ; le reste étant composé de chômeuses (27%), de situations diverses (14%) et de prostituées (8%). « Les petites bonnes ne savent même pas si l’abus sexuel fait partie ou pas de leur travail » explique Saïda Bajjou. La même situation se retrouvant avec les ouvrières dans les usines textiles des quartiers industriels de Casablanca. Aïcha Chenna rajoute que « toutes les petites bonnes ne sont pas violées, même si c’est très répandu. Elles sont surtout très jeunes, naïves, manquent d’affection, et sont d’autant plus sensibles aux mots d’amour du premier garçon venu leur promettre le mariage ».

Car si le viol est une réalité bien connue, l’essentiel des cas de mères célibataires, selon une enquête réalisée en 2002 par SOS villages d’enfants dans la wilaya du grand Casablanca (sur un large échantillon de 5040 mères célibataires) est constitué de promesses de mariages non tenues (75%). Un constat qui renvoie à la schizophrénie de la société marocaine : « Le problème de la virginité est central. Il y a vraiment une hypocrisie sur cette question au Maroc ». L’honneur de la famille étant considéré comme atteint, de nombreuses filles fuient celle-ci quand elles ne parviennent plus à dissimuler leur ventre rond. Un déchirement supplémentaire, que la famille entérine parfois sans peine : ainsi Nour, 19 ans, a-t-elle tremblé en entendant sa mère au téléphone proclamer qu’elle considérait sa fille comme « morte » au premier contact de réinsertion que l’association Insaf a entrepris avec sa famille.

La naissance de l’enfant est à ce point problématique pour ces femmes qu’elles le nomment spontanément « lmouchkil » (le problème), rapporte Aïcha Chenna. Paradoxalement, les inconnus sont les plus accueillants : Saïda Bejjou assure que « les mères célibataires ne sont jamais seules dans la rue, il y a une véritable solidarité parmi les gens de la rue, les voisins. On ne rejette pas une mère célibataire… tant que ce n’est pas sa propre fille ! » La solidarité des anonymes et des associations joue ici un rôle si crucial qu’on cherche l’engagement de l’Etat sur cette question. Les subventions étatiques rentrent dans le financement de ces associations, mais il n’existe pas encore de centres d’accueil proprement publics. Du moins pas encore, rassure Nouzha Skalli, ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité : « Le ministère travaille à la création de 16 centres d’accueil et d’hébergement, et soutient des associations d’aide aux mères célibataires ». Saïda Bejjou ne se fait pas d’illusion, sur ce sujet sensible : « L’Etat devrait au moins nous faciliter les procédures administratives et juridiques pour l’établissement de l’état civil au lieu de nous mettre des bâtons dans les roues ».

L’une des revendications majeure des associations de soutien aux mères célibataires est notamment l’obligation des analyses ADN pour les hommes suspectés d’être le père de l’enfant, de façon à lutter contre le phénomène des enfants nés sous X. Aujourd’hui, ces tests ne sont ordonnés que dans le cas de viol ou de fiançailles. Et surtout briser le tabou des cours d’éducation sexuelle à l’école, et sans doute aussi par des campagnes de communication audiovisuelle pour toucher les filles déscolarisées. Car pour le moment, les seuls enseignements dispensés sont les cours très théoriques (et très pudiques) de sciences naturelles. Un constat partagé par Nouzha Skalli : « La plupart des mères célibataires ne sont pas assez informées en matière de contraception. Il nous faudra briser les tabous et généraliser ces enseignements même dès l’école primaire. Mais le risque que les moralisateurs crient au loup est réel, alors il faut mieux ne pas faire trop de publicité autour de tout cela. » La révolution des mentalités avance sur la pointe des pieds.

Antony Drugeon et Hicham Houdaïfa, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, le 13 septembre 2008

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Août 26, 2008
L’économie ne ment pas… selon Guy Sorman

Essai

L’économie ne ment pas, Guy Sorman, éditions Fayard, 2008.

Ode au libéralisme

On croyait l’économie en plein désarroi face aux crises à répétitions. Pas du tout selon Guy Sorman, qui affirme la victoire du courant libéral.

L’économie, longtemps présentée comme la plus scientifique des sciences humaines, est régulièrement dépeinte comme en plein désarroi. Les théories libérales ou interventionnistes auraient montré leurs limites, et seraient en pleine synthèse. Une vision rejetée vivement par l’essayiste français Guy Sorman, qui tente ici une réhabilitation tonitruante du libéralisme, qui selon lui se confond désormais avec l’économie. «L’économie est désormais une science» plaide-t-il. Science exacte nourrie de chiffres, dont «l’objet est de distinguer entre les bonnes et les mauvaises politiques». Multipliant les références aux figures majeures de la science économique, plus ou moins célèbres, l’ouvrage se lit davantage comme un essai que comme un manuel d’économie, privilégiant la fluidité de l’argumentation à la démonstration méticuleuse.

Totalitarisme vert ?

C’est ainsi que l’auteur brocarde l’intervention de l’Etat dans l’économie, désormais reconnue par tous comme «inefficace et soumise à des intérêts électoraux», ou bien justifie la lutte contre l’inflation si souvent décriée, notamment en Europe. L’ouvrage a également le mérite de traiter, au-delà des questions purement économiques, des fondements philosophiques du libéralisme, en empruntant à de nombreux auteurs. L’individualisme de l’Occident chrétien y est ainsi présenté comme le fondement de la société par contrat, cadre nécessaire de l’essor économique, tandis que la société judéo-musulmane traditionnelle ferait reposer les relations économiques sur des liens familiaux et communautaires. La réflexion renouvelle également le débat sur l’interdépendance de l’économie de marché et de la démocratie, ou encore sur la rationalité des acteurs. Quitte à déranger, en démontrant que les riches divorcent moins que les pauvres «parce qu’ils ont davantage à y perdre», que la criminalité s’explique par un arbitrage intérêt/coût des plus rationnels aussi, ou encore que la légalisation des drogues serait une bonne mesure du point de vue économique comme politique.

Le livre explore en outre les ressorts du développement des pays émergents tels que la Turquie, l’Inde, la Chine, la Russie et le Brésil, comme autant de pierres à rajouter à son édifice, et qui introduisent le lecteur dans les ressorts trop souvent méconnus du développement économique de ces pays émergents. Dense, l’ouvrage se penche en outre sur l’écologisme et le spectre du «totalitarisme vert», analysant les limites économiques de la politique de lutte contre le réchauffement climatique.

Mais ce que l’ouvrage a gagné en clarté, il l’a sans doute perdu en rigueur. Guy Sorman a l’audace d’attaquer les «mythes révolutionnaires», mais il privilégie quelquefois une approche si doctrinale qu’elle tombe également dans l’idéologie. Les argumentations, bien que brillantes et chiffrées, auraient gagné à être nuancées, là où souvent l’auteur présente ses affirmations comme reconnues par tous les économistes, même les plus polémiques. Le très controversé Milton Friedman est ainsi présenté comme celui qui a fait le consensus dans la science économique contemporaine.

Libéralisme, avant-gardisme ?

Le principal reproche auquel s’expose L’économie ne ment pas est d’ordre lexical : à confondre (volontairement) économie, libéralisme, et capitalisme, l’ouvrage défend la thèse que l’économie est une, qu’un seul système est valable. Si la faillite du système socialiste soviétique fait en effet peu de nostalgiques, l’économie de marché est en revanche loin d’être monolithique. L’auteur passe sous silence la diversité des capitalismes (anglo-saxons, rhénans/sociaux-démocrates, nippons, etc.) et n’admet les réserves à l’égard du libéralisme anglo-saxon, telles que le rôle de l’Etat dans l’économie, notamment par l’Etat-Providence, que de façon détournée.

Il est en outre troublant que le livre n’aborde pas frontalement les reproches qui sont faits au libéralisme dans le contexte des crises financières à répétition que connaît le monde depuis les années 80, et en particulier la crise des subprimes depuis un an. «Les bénéfices globaux des nouveaux instruments financiers ont dépassé les coûts. Le débat, subsidiaire, ne porte que sur le degré de transparence et de réglementation nécessaire au bon fonctionnement de ces nouveaux marchés financiers» écrit ainsi l’auteur.

Mais c’est précisément le choix de s’inscrire en porte-à-faux avec le discours ambiant hostile à la mondialisation qui structure cet ouvrage iconoclaste, qui revendique l’accroissement des inégalités en contrepartie de la réduction de la pauvreté. Un choix élitiste, d’un auteur qui conspue «les journalistes et les politiciens fascinés par les mini-crises de conjoncture et les cycles courts» et qui assume clairement sa préférence pour le modèle libéral américain. Un modèle qui a fait les preuves de sa supériorité selon lui, mais que peinent encore à admettre les politiques économiques et les opinions publiques : «un décalage caractéristique de tout changement de paradigme».

Antony Drugeon, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, 26 août 2008

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Juil 26, 2008
Meurtre en famille à l’hôpital
Personnel de l'hôpital Ar-Razi rendant hommage à Abdallâh Fajri. Photo : Hôpital Ar-Razi.
Emotion parmi le personnel de l’hôpital psychiatrique Ar-razi de Salé. Photo : Hôpital Ar-Razi de Salé

Le meurtre sauvage d’un infirmier à l’hôpital psychiatrique Ar-Razi de Salé interpelle les milieux hospitaliers.

Le surveillant de l’hôpital psychiatrique Ar-Razi de Salé parle la voix chargée d’émotion : «C’est un drame, on le connaissait parfaitement, ça faisait 34 ans qu’il travaillait là» déplore-t-il, brassard noir au bras. Abdallâh Fajri, 54 ans a en effet été tué dans la nuit du samedi 12 au dimanche 13 juillet. Cet infirmier a reçu des coups mortels de la part d’un malade. Les agressions ne sont pourtant pas un fait exceptionnel dans un hôpital psychiatrique comme celui-ci : «tous les jours on fait face à des agressions et des insultes» rappelle Jallal Tawfiq, directeur de l’établissement.

Samedi 12 juillet, vers 23h, arrive au service des urgences de l’hôpital Ar-Razi un homme agité, qui pourrait avoir été sous l’emprise de narcotiques, accompagné de sa mère et de trois hommes dont deux étaient ses frères. Seuls quatre membres du personnel sont alors présents dans le bâtiment. Une femme médecin administre un calmant au malade, qui s’apaise. C’est alors que la famille, d’après les premiers éléments de l’enquête, proteste contre l’absence de lit pour une hospitalisation immédiate, insultant et menaçant le personnel. Le ton monte tellement que le malade s’excite et commence à saccager le bureau et à frapper le personnel. Pire, la famille ferme la porte de l’établissement, empêchant tout renfort de porter secours aux quatre employés sur place – la médecin, l’infirmier, un agent technique et un agent de sécurité. L’infirmier s’interpose entre le malade et la doctoresse, et reçoit plusieurs coups. Ils s’avéreront mortels, Abdallâh Fajri décédant vers minuit, vraisemblablement d’une hémorragie cérébrale. Après avoir pris la fuite, le malade et sa famille reviennent sur les lieux et se rendent à la police.

Moins d’une semaine après le drame, le personnel de l’hôpital reste particulièrement choqué par le drame. «Vous êtes journaliste… vous êtes venus pour… ce qui c’est passé ?» demandent le regard grave les infirmiers et surveillants. A l’évocation de cet événement, les visages se ferment, mais se font plein de sollicitude. «Il faut que ça se sache» dit calmement une infirmière. Car derrière ce fait divers, c’est tout l’hôpital qui montre ses failles. A tel point que Nadira Barkallil, présidente de l’association Al Balsam (association de proches de personnes en souffrance psychique) se déclare «malheureusement pas du tout surprise par ce drame». Car l’hôpital psychiatrique est l’éternel parent pauvre du système de santé publique national, dénonce-t-elle.

Manque de moyens ?

Une fois encore, cette affaire pose la question des effectifs de sécurité d’une part et de personnels soignants d’autre part, en nombre insuffisant ce soir-là. Mais c’est aussi la saturation des hôpitaux qui est pointée du doigt par ce fait divers : «Nous n’avons que 176 lits opérationnels pour couvrir les deux régions administratives de Rabat-Salé-Zemmour-Zaërs et de Kénitra, avec un déficit de 22 infirmiers pour assurer ne serait-ce qu’un fonctionnement minimum de l’hôpital» déplore M. Tawfiq, appelant toutefois à éviter toute récupération syndicale de drame.

Car précisément l’affaire prend une résonance syndicale. La coordination syndicale CDT, FDT, UMT, UGTM, UNTM a appelé jeudi 17 juillet l’ensemble des personnels hospitaliers du pays à organiser un sit-in d’une heure, « pour protester contre le meurtre d’Abdallâh Fajri ». Pour Moustafa Chanaoui, médecin membre du Syndicat National de la Santé Publique, affilié à la CDT, il s’agit de «protester sur l’absence de sécurité,

Antony Drugeon

d’attirer l’attention des décideurs sur ces questions pour qu’ils y répondent, et de manifester notre émotion, notre solidarité».

Du côté du ministère de la Santé, on refuse de relier le drame du samedi 12 juillet aux maux de la Santé publique : «ce fait divers engage avant tout la responsabilité de ses auteurs ; le plan national de santé mentale est global, réfléchi, intégré, il n’y a pas lieu de le relier à ce fait divers» martèle M. El Makaoui, secrétaire général du ministère de la Santé.

Toutefois, la ministre de la Santé Yasmina Baddou a pris soin de déminer le terrain. En rendant visite au personnel et à la famille de la victime dès le lendemain du drame. Sur place, des agents de sécurité supplémentaires ont été dépêchés, et un policier chargé de garder l’entrée. Reste à espérer que les mesures d’urgence et l’émotion se pérenniseront en véritable effort de remise à niveau des hôpitaux publics.

Antony Drugeon, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, 26 juillet 2008

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Juil 12, 2008
Profil bas pour Al-Jazira

Stratégie tout en humilité pour Hassan Rachidi, directeur du bureau d’Al Jazira de Rabat, inculpé pour propagation de « fausses informations » suite aux violences de Sifi Ifni, ayant fait état de « un à cinq » décès, avant de démentir. Profitant du retrait de sa défense qui protestait contre de nombreux vices de forme, Hassan Rachidi a présenté ses excuses devant la cour. Il a même délivré un certificat de patriotisme en déclarant qu’il « était fier d’être Marocain et qu’il avait été accusé à plusieurs reprises par les autorités algériennes d’être un agent des services marocains ». Pour sa défense, M. Rachidi a rajouté qu’il s’était basé sur des sources émanant « d’organisations de droits de l’homme reconnues par l’Etat et que le démenti des autorités était venu fort tard ». Il a souligné que seul le siège de la chaîne qui se trouve au Qatar pouvait présenter des excuses, suggérant même que la ligne éditoriale lui échappait et restait du ressort de Doha. Le tribunal, qui a refusé à M. Rachidi la convocation de témoins à décharge, devait délibérer vendredi 11 juillet.

Antony Drugeon, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, 12 juillet 2008

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Juil 12, 2008
Grève au sein de la rédaction d’Al Bayane

Journalistes Les raisons de la colère

Avis de tempête au sein de la rédaction d’Al Bayane. Le quotidien de gauche est secoué par un mouvement social, qui l’accuse de détourner les cotisations CNSS et CIMR de certains salariés et de ne pas respecter le salaire minimum défendu par la convention, selon Nouri Hakim Benslimane, journaliste à Al Bayane et membre du Syndicat National de la Presse Marocaine. Parallèlement, les journalistes femmes de la rédaction dénoncent « un traitement basé sur la discrimination » déplorant « harcèlement moral, […] humiliation » et inégalités face aux congés. Une grève d’une heure devait être observée vendredi 11 juillet. Le conflit avait déjà provoqué une grève semblable le 27 juin. « A l’avenir nous envisageons d’organiser une conférence de presse pour alerter l’opinion sur la situation, si rien ne bouge » avertit Soumia Yahia, journaliste à Al Bayane. Accusations que rejette Ahmed Zaki, directeur de la publication d’Al Bayane : « personne n’est sous payé, certains veulent simplement ne pas être au salaire minimum », ou qu’il avoue « ne pas comprendre : depuis 2003 nous avons justement régularisé la situation des cotisations ». Quant aux femmes, M. Zaki parle de mises en garde régulières, faute d’assiduité. Un vrai dialogue de sourds.

Antony Drugeon, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, 12 juillet 2008

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Juil 5, 2008
Dans la rue, l’art revivifié

Que le spectacle aille aux spectateurs, et non l’inverse : tel est le principe du festival Awaln’art

Celui-ci s’est tenu à Marrakech et ses environs pendant dix jours, du 24 juin au 3 juillet. Les localités de Tamesloht, Aït Ourir, Tahanaoute et Aghmat en particulier furent durant ces quelques jours les hôtes singuliers de ce festival tout aussi singulier. Théâtre, spectacles de marionnettes, chants, musique, danse, acrobaties, contes auront ainsi animé l’espace public sous l’œil surpris et intrigué des anonymes, voyant leurs rues et places devenir des lieux de spectacles.

Un festival atypique donc, qui investit les lieux les plus reculés pour affronter des publics loin d’être avertis. Toute une démarche pour la compagnie italienne Artificio 23, dont la chorégraphe Michela Lucenti explique : «Nous souhaitons expérimenter l’association de la danse et de l’acrobatie, et pour cela nous avons besoin de nous confronter au public partout, et pas forcément dans les grands théâtres d’Europe ; nous nous représentons également dans des lieux difficiles comme les prisons, les hôpitaux, les asiles» Et le village reculé de Tamesloht. «Une première» avoue-t-elle, rajoutant «qu’ici, les gens sont purs, ce n’est pas comme avec les publics guindés de Paris ou d’Avignon». Le festival donne en outre sa chance à des artistes encore peu connus. A relever le spectacle Koulouskout ou applaudis, à la croisée du théâtre et de l’acrobatie, de la compagnie française Cabas. Un spectacle écrit et interprété par deux Franco-Marocaines, Sophia Perez et Nedjma Benchaïb, cette dernière étant également algérienne, sur le thème de la double identité. Alternant prises de paroles, acrobaties et danse, ces jeunes artistes issues de l’Ecole Nationale des Arts du Cirque en France dressent un portrait tout en sensibilité des interrogations qui peuvent traverser des jeunes maghrébines en France : faut-il mentir à ses grands parents quand on mange du porc, fume des cigarettes ? comment être proche de sa famille avec la barrière de la langue et un autre rapport aux mœurs / à la religion ? Si l’on est pas vraiment des Arabes, ni des Françaises, qui sommes-nous ?

Pyramide humaine, lors du festival Awaln'art. Photo : Antony Drugeon (CC)

Cette deuxième édition du festival Awaln’art a également confirmé l’hommage rendu à l’Afrique, avec la présence de pas moins de quatre troupes africaines, comme un moyen de souligner l’africanité du Maroc. Les rythmes des percussions africaines, et notamment les tam-tams des Sénégalais de Africa Djembé ont su toucher le public peu habitué à ces sonorités lointaines, tandis que les danseuses rivalisaient entre elles de défis de danse extatique, presque mystique. Les Maliens de la compagnie Sogolon ont su quant à eux avec leur spectacle La calebasse d’or emporter leur public dans une rêverie où les animaux de la jungle et les danseuses donnent toute leur magie à la musique et aux décors traditionnels.

Réhabiliter la halqa

Car le spectacle dans l’espace public est sans doute ce qui rapproche le plus les traditions marocaines et subsahariennes : la halqa (cercle) qui se forme autour du conteur sur la place publique n’a t-elle pas valu à la place Jemaâ El Fna de Marrakech d’être classée patrimoine oral et immatériel de l’humanité ?

La disparition progressive des conteurs récemment décriée est d’ailleurs l’une des raisons d’être du festival : Khalid Tamer, directeur artistique du festival, déplore en effet cette disparition. La faute à la télévision ? «Non, la responsabilité n’est pas celle de la télévision, les gens ont besoin d’un festival comme ça, le Maroc en a besoin, le problème c’est tout simplement qu’il n’y a plus de transmission de ces savoirs faire et de ces arts-là» argumente Khalid Tamer, qui veut profiter du festival pour monter un centre de formation pour ces arts populaires.

Le conte populaire, figure majeure de l’art de rue, était défendu par sept étudiants de l’ISADAC (Institut Supérieur d’Art Dramatique et d’Animation Culturelle) de Rabat présentant le spectacle Joha notre contemporain. Sanae Bahaj, 22 ans, a ainsi réactualisé les contes de Joha en écrivant sept petits récits permettant aux personnages de l’ouléma Nasr Eddine Hodja d’aborder des problématiques telles que l’égalité homme / femme ou le conflit des générations, chaque étudiant racontant l’un de ces récits, interpellant le public à la recherche de Joha et suscitant sans peine l’hilarité générale, donnant ainsi tout son sens à l’esprit de l’art de rue.

Photo : Antony Drugeon (CC)
Comédien masqué, festival Awaln'art. Photo : Antony Drugeon (CC)

Sans doute on regrettera que la programmation aie fait la part belle aux troupes étrangères, africaines ou européennes, d’où quelquefois une frustration du public face à la barrière de la langue. Mais Khalid Tamer l’assure : «pour la prochaine édition on essaiera d’inviter plus d’artistes marocains».

En revanche, le choix de la confrontation directe avec le public dans l’espace urbain, qui fait l’identité même de ce festival, est appelé à se pérenniser. Ce qui permettra au festival de devenir un rendez-vous tout en générosité et spontanéité sur l’agenda culturel, aux côtés des grosses machines que sont les festivals grand public.

Antony Drugeon, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, 5 juillet 2008

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Juin 28, 2008
Binationaux : des Marocains comme les autres?

En accusant de racisme la chaîne 2M qui l’a écarté, le réalisateur belgo-marocain de la série Rhimou Ismaël Saïdi jette un pavé dans la mare. La politique nationale à l’égard des MRE est mise en cause.

Le mot racisme peut sembler extravagant en l’espèce. Quoiqu’il en soit, les Marocains Ressortissants de l’Etranger (MRE) qui ont décidé de s’installer dans le pays de leurs origines sont constamment renvoyés à leur double nationalité. Nés à l’étranger souvent, ou partis pour de longues années, le plus souvent en Europe et plus spécifiquement en France, «ces MRE ont pourtant bien conservé la culture de leur pays d’origine» explique le psychosociologue Abdelkrim Belhaj, pour qui «c’est surtout dans la perception des Marocains que réside le préjugé». C’est in fine le regard qui pose une barrière davantage que de réelles différences : «l’existence de stéréotypes est en fait le principal frein à la réintégration» poursuit M. Belhaj.

Les stéréotypes en question, Bouchra El Haoudi en connaît la teneur. A 32 ans, et au Maroc depuis moins d’un an, cette casablancaise d’adoption ayant grandi en France déplore la persistance du «complexe du colonisé», qu’elle soupçonne de lui ouvrir des portes. Tarik Chikhi, 28 ans, franco-marocain installé au Maroc depuis 2 ans, l’a clairement vérifié. Son employeur, une grande entreprise française, lui a avoué sans détour qu’il avait été embauché en partie pour sa binationalité, rajoutant même «que les Marocains, [il] allait en France pour les chercher.» La binationalité en tant que piédestal, en somme. Selon Abdelkrim Belhaj, le fait d’avoir vécu en Europe confère une aura de rationalité très prisée par les entreprises : «C’est une question de logique ; la logique européenne est celle des entreprises qui sont en relation avec l’Occident, et qui recherchent des esprits calqués sur le modèle européen». Mais le piédestal a son revers : «On peut te mépriser ou te dérouler le tapis rouge» explique Bouchra. Tarik de son côté s’agace du terme zmigri (émigré) qui lui est régulièrement renvoyé.

Marhaba aux MRE, ou à leur argent ?

Le réalisateur Ismaël Saïdi, à qui l’on doit la série Rhimou diffusée jusque-là sur 2M, est quant à lui allé jusqu’à déclarer récemment en interview avoir été traité de «petit bouseux de belge de m…» du fait de sa double nationalité belge et marocaine. Un rejet extrême qui reste rare. Pour Tarik, mettre en avant son identité française, parler français, c’est clairement s’exposer à une réaction froide. En particulier avec l’administration : « Bien que mon passeport français soit normalement suffisant pour rentrer au Maroc, j’ai toujours été contraint de rajouter ma carte nationale avec ». En l’absence de celle-ci, Tarik devait paradoxalement se dire Algérien ou Tunisien pour calmer policiers et douaniers. Lesquels, par délit de faciès caractérisé, obligent en effet tout «beur» à donner les prénoms de ses parents et à s’expliquer sur sa non-possession de carte nationale.

Si on renvoie donc le zmigri à ses origines, on ne se prive pas pour en faire un étranger en d’autres circonstances. Samya Baraka, 29 ans, franco-algérienne installée au Maroc, a beau avoir marocanisé son arabe, on fait parfois d’elle une française davantage qu’une maghrébine : «il m’est arrivé qu’on parle de moi comme d’une nissrania (chrétienne) parce que j’avais parlé français ; j’étais outrée !».
Dans ces conditions, difficile de comprendre les difficultés d’intégration des MRE s’installant au Maroc sans pointer du doigt la politique menée à leur égard. Une politique dont le cadre a été fixé par Hassan II, qui en 1989 déclarait à la télévision française : «Je suis contre l’intégration. Le bon immigré est celui qui acquiert une formation, une valeur ajoutée, et qui rentre chez lui.» Et qui envoie des transferts. Opérations Marhaba successives, tentatives de stimuler les transferts via l’action culturelle des consulats auprès des Marocains de l’étranger, programme Fincom (accompagnement à l’investissement des MRE au Maroc) participent de cette politique générale qui réduit les MRE à un enjeu financier et économique, mais toujours privé du droit de vote. Cette politique est menée «depuis des années par cet esprit financier économico-social qui oublie la dimension humaine du migrant pour le réduire à des compétences et à de l’argent» dénonce M. Belhaj. Or si l’enjeu économique des transferts et des investissements provenant des MRE est bien connu, l’intégration de ceux-ci à leur retour est pensée comme allant de soi.

Pourtant, une des rares études menées en la matière, celle de l’Institut Universitaire Européen, à Florence en Italie, a établi en 2006 que 23,9% des MRE retournés au Maroc sont mécontents de leur choix, notamment en raison des difficultés d’adaptation et de réinsertion.
L’explication majeure est sans doute à chercher du côté de la tradition. Bouchra, Tarik et Samya se disent gênés qui par l’absence d’égalité homme / femme, qui par l’importance du mariage, des fêtes religieuses ou par la pesanteur de la drague. D’où un constat frappant de la part de Tarik : «parmi mes amis, beaucoup ont soit vécu en France soit sont mariés avec une française, ça nous rapproche». Reste à savoir si le retour des émigrés sera facteur de communautarisation de la société.

Antony Drugeon, LE JOURNAL HEBDOMADAIRE, 28 juin 2008

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Mar 20, 2007
Algérie : le malheur des uns fait-il le bonheur des autres ?

La couverture des évènements tragiques en Algérie trahit quelquefois une forme de complaisance, de réjouissance même. Les citoyens suivent-ils ?

Affaire Khalifa, terrorisme islamiste, émeutes, inondations… L’actualité n’est, il est vrai, pas tendre avec l’Algérie. Mais les titres des journaux semblent en rajouter. Relations diplomatiques tendues oblige, le malheur d’Alger fait le bonheur de Rabat, et vice-versa. Mais ces joutes diplomatiques touchent-elles les Marocains, au jour le jour ? Le fait est que les journaux proposent souvent des titres engagés, en particulier sur la question des provinces du sud.

Mais il n’est pas rare de déceler sur des questions internes à l’Algérie des formulations insidieuses. Ainsi l’agence officielle Maghreb Arabe Presse (MAP), lors des inondations de la fin février dernier au sud d’Alger, saute sur l’occasion pour mettre en exergue les manifestations qui leur ont succédé : « Les protestataires (…) se sont révoltés contre l’absence de toute aide des autorités après l’inondation de leurs habitations, suite aux fortes pluies de la veille » (27 février 2006). Autorités incompétentes contre population excédée ? Un schéma certainement pas caricatural, du reste, mais volontiers approuvé tacitement, comme lorsque de « violentes émeutes » ont éclaté suite à la mort d’un citoyen abattu par des gendarmes pour avoir refusé de s’arrêter dans un barrage dressé sur la route nationale d’un village : « Un gendarme a tiré à bout portant, tuant sur le coup le récalcitrant, et c’est alors que la population de la région s’est organisée en un temps record et a provoqué une émeute des plus violentes » (MAP du 8 mars 2006).

Khaled, la réconciliation algéro-marocaine?

L’échec de la charte de réconciliation nationale, attesté presque chaque jour par les embuscades et attentats des salafistes algériens, est une cible encore plus facile. Une cible qui s’adresse peut-être avant tout aux électeurs marocains, alors que le score des islamistes aux prochaines élections est le point d’interrogation principal de ce scrutin.
Remettre en cause le bien-fondé de la fermeture de la frontière avait valu au président de la Commune urbaine d’Oujda, début décembre dernier, de vives critiques (voir Libération du 9&10 décembre 2006).
L’Algérie-épouvantail, une méthode efficace ? De fait, les sentiments des Marocains sont ambivalents sur la question. Entre les déclarations panarabes, pan-maghrébines, et le patriotisme blessé par le « faux-frêre algérien », la schizophrénie sociale est (là encore) la norme. Si les points communs sont nombreux, le patriotisme de nombreux Marocains les conduit à diaboliser Alger.

Mais derrière cette hostilité affichée, le rapprochement serait plus d’actualité que les tensions. C’est en tout cas ce que défend l’historien français Benjamin Stora, spécialiste du Maghreb, qui écrit dans Algérie-Maroc. Histoires parralèles, destins croisés (2002) que la réconciliation entre les deux pays se fera « par en bas ». Musique, culture, aspirations, scène politique, pyramide des âges, tout rapproche les deux voisins : « Pourtant, en dépit de (leurs) différences, l’un et l’autre ont vu émerger des sociétés civiles qui ont pour caractéristique à la fois de ne pas se sentir représentées par les vieilles classes politiques encore aux commandes et d’aspirer à la modernité. Au Maroc comme en Algérie, des sociétés jeunes et urbaines veulent plus de vérité, de justice, d’Etat de droit, de démocratie. Dans les deux pays, aussi, on assiste à un intérêt nouveau pour le passé proche. La découverte d’une histoire récente, sujette à polémique et longtemps occultée, donne parfois lieu à de grands déballages » écrit ainsi le journal français L’Express sur l’ouvrage de B. Stora. Le concert de Khaled, à Sidi Bernoussi, à Casablanca, le 15 juillet dernier, est un symbole à lui de cet état de fait : le maître du raï, les épaules couvertes des drapeaux algérien et marocain, y avait été ovationné par plus de 200.000 personnes. Qui avaient envie de parler de tout sauf de politique.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 20 mars 2006

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Mar 1, 2007
Alger emploie les grands moyens contre les islamistes

Parallèlement à sa confrontation avec les islamistes, l’Algérie connaît des émeutes de citoyens déçus par l’Etat.

Lundi, Alger a montré jusqu’où allait sa lutte contre les islamistes. La cour de Boumerdès, qui statuait lundi sur le cas de 28 éléments armés en état de fuite, a prononcé 25 condamnations à mort par contumace et trois autres à 20 ans de prison ferme, rapporte mardi le Quotidien d’Oran. Les 28 condamnés, dont 25 seraient des chefs de groupes armés, sont accusés d’avoir commis plusieurs attentats contre plusieurs structures des forces de sécurité à Alger, Boumerdès et Tizi Ouzou.

Dans le cadre de sa première session de l’année 2007, la cour de Boumerdès aura à traiter 176 autres affaires liées au terrorisme. Une session qui commence d’autant plus sous le signe de la fermeté puisque le même jour, le parti islamiste Mouvement pour la Réforme Nationale (MRN) a accusé les pouvoirs publics de chercher à l’écarter des prochaines élections. Le député de ce parti Lakhdar Benmakhlef, lors d’un entretien téléphonique diffusé lundi soir par la chaîne de télévision Al Jazira dans l’édition maghrébine de son journal, a en effet indiqué que « quelquechose est en train de se préparer pour que le Mouvement pour la Réforme Nationale ne participe pas à ces élections bien qu’il soit la deuxième force dans le pays au vu des voix qu’il avait obtenues en 2002« . Le député en a profité pour réclamer de véritables « élections libres, transparentes et démocratiques« . Le MRN est arrivé 3e lors des élections présidentielles de 2004 avec 5% des voix. Lors des élections législatives, il a obtenu 9,5% des suffrages, et compte 43 députés au Parlement.

Toujours ce même lundi, de violents affrontements ont eu lieu, dans les agglomérations de Bir Touta et Bab Ali (à une quinzaine de kilomètres au sud d’Alger) lorsque des citoyens ont bloqué la route et se sont affrontés aux forces anti-émeutes, rapporte la presse algérienne. Les manifestants se sont révoltés contre l’absence de toute aide des autorités après l’inondation de leurs habitations, suite aux fortes pluies de la veille, qui ont causé notamment le débordement des canalisations des eaux usées. Les affrontements entre les protestataires et les forces anti-émeutes, qui ont commencé vers la mi-journée, se sont soldés par l’arrestation d’une vingtaine de personnes. Ils ont fait également une trentaine de blessés notamment parmi des jeunes âgés entre 17 et 20 ans, rapporte Le Carrefour d’Alger. Plusieurs centaines de citoyens avaient commencé par se dresser sur l’axe routier en dressant des barricades à l’aide de troncs d’arbres et de pneus brûlés.

Les émeutiers ont mandaté un comité pour exiger la venue du wali et la réparation des dégâts ainsi que des sanctions contre le premier responsable de la commune de Bir Touta dont dépend la bourgade, indique-t-on de même source. Une centaine de maisons ont été touchées par les inondations qui ont été signalées vers 2h du matin lundi dernier, mais les appels de détresse adressés aux services de la protection civile et au maire n’ont pas reçu de réponse, jusqu’au soulèvement de la population.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 1er mars 2007

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Fév 18, 2007
La Kahina, une figure mythique et pourtant méconnue

Être à la fois un mythe, et une anecdote oubliée de l’Histoire : tel est le paradoxe de la Kahina, selon Gisèle Halimi.

La célèbre militante des droits de la femme consacre en effet son dernier ouvrage à la Kahina, et à l’ambiguïté de ce personnage à la notoriété équivoque. Femme guerrière, reine, au destin hors norme, elle est devenue une figure mythique incontournable dans l’imaginaire berbère. Mythe, et par là même détail anodin : tel est le sort qu’a subi la Kahina, selon Gisèle Halimi. « Les historiens ont toujours minimisé son épopée » dénonce l’avocate, visant directement « l’Histoire officielle enseignée dans les pays maghrébins, incapables d’assumer leur amazighité« . Car l’aura mythique, prévient-elle, ne compense pas cette situation : glorifiée, mythifiée, la Kahina ne fait plus peur, comme « extraite de tout lien, de toute prise avec le monde« . La Kahina, explique Gisèle Halimi, ne peut être comprise que par une analyse approfondie, qui se détache tout autant du mythe, issu de l’imaginaire collectif, que du détail historique qu’en fait l’Histoire officielle du vainqueur.

Mais la résistance berbère à l’invasion arabe conserve ses lettres de noblesse jusqu’à aujourd’hui malgré le travail de sape de l’Histoire officielle précisément. Née au VIIIe siècle, dans une tribu de Berbères nomades, c’est-à-dire dans un milieu éminemment patriarcal, La Kahina parvient peu à peu à s’imposer et à prendre le pouvoir, pour porter la puissance de son peuple à son comble. Triomphant là où d’autres ont échoué, elle unit les Berbères nomades, puis les Berbères sédentaires. Et défait l’armée du général arabe Hassan. Lui qui se demandait encore avant de l’affronter, précise, mutine, Gisèle Halimi : « Vaincre une femme s’appelle-t-il vaincre?« . Cette « Jeanne d’Arc berbère, nord africaine » a séduit Gisèle Halimi dès son enfance : « J’ai longtemps attendu avant d’écrire ce livre, sur ce personnage que je portais en moi depuis l’enfance », explique l’écrivaine et avocate. L’ouvrage se veut donc bien documenté, pour approcher au plus près de la réalité du personnage; la littérature en la matière demeurant bien maigre. « Ibn Khaldoun, qui est peut être celui qui a le plus écrit sur la Kahina, n’y consacre pas plus que quelques lignes » précise Gisèle Halimi.

Quoi qu’il en soit, le personnage fascine nécessairement, au moins pour l’espoir qu’il représente pour la cause féministe. « La Kahina réunit toutes les libertés dont les femmes peuvent rêver« , poursuit Gisèle Halimi. Liberté sexuelle notamment sur laquelle s’attarde l’écrivain, mais aussi liberté religieuse et liberté politique, dans une période où le poids de la religion était normalement très pesant notamment à l’égard des femmes. La Kahina, fille unique du roi de sa tribu, subit dès son enfance l’impression de ne pas exister du fait de son sexe; parvient à échapper au monde typiquement féminin, en allant à la chasse, en refusant les tatouages féminins, préférant des motifs plus virils. Elle parvient peu à peu, ainsi, à faire accepter son autorité sur l’ensemble de la tribu. S’appuie sur la religion, juive en l’occurrence, davantage pour asseoir son autorité que par conviction semble-t-il. Mais, contrairement à ce qui a pu être dit quelquefois, elle ne verse jamais dans le fanatisme religieux, même lors de l’invasion de l’islam.

Elle fait même preuve d’ouverture, choisissant ainsi pour mari Khaled, un Arabe, et musulman. Ce faisant, elle enfreint une loi berbère interdisant les mariages mixtes. Preuve ultime de son affranchissement envers la tradition, tout comme elle avait d’ores et déjà eu deux enfants de deux lits très différents, ignorant les prescriptions morales de son temps quand il s’agit de sa vie sentimentale et sexuelle.

Mais cette femme politique hors pair, cette grande guerrière, n’aura pas su résister éternellement face aux assauts du général Hassan. A l’heure de la défaite, elle préfère exhorter à son fils de rejoindre l’ennemi musulman et arabe, tout comme son peuple à se convertir, pour les préserver. Abnégation sage de la guerrière, qui, dans son dernier acte de bravoure, affronte son ennemi en duel, pour mourir en reine. Fin tragique donc qui sied à un destin hors norme, aventurier, avant-gardiste. Et qui permet à la Kahina de rentrer dans l’Histoire comme symbole culturel incontournable pour les Berbères du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, « mais aussi de France » tient à rappeler Gisèle Halimi. D’ailleurs, pour elle, son ouvrage est bien moins une revendication politique, ou l’expression d’un quelconque sentiment de revanche, qu’une tentative de revendiquer haut et fort l’identité culturelle berbère.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 17 et 18 février 2007

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Fév 9, 2007
Les caricatures de Mahomet s’invitent dans la campagne présidentielle en France

charliehebdoNicolas Sarkozy apporte son soutien au journal satirique, le Conseil français du culte musulman (CFCM) s’indigne.

Mercredi, s’est ouvert le procès du journal français Charlie Hebdo au tribunal correctionnel de Paris, poursuivi pour « injures publiques envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion » par la Grande mosquée de Paris (modéré) et l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), rejointes par la Ligue Islamique Mondiale. Une affaire qui prend une tournure politique puisque l’avocat du journal, Me Georges Kiejman, a lu à l’audience un courrier de soutien de Nicolas Sarkozy. Le ministre de l’Intérieur, chargé des cultes, y déclare préférer « l’excès de caricatures à l’absence de caricatures« , rendant au passage hommage à la tradition de la satire de la presse française. Le premier secrétaire du Parti Socialiste (PS), et compagnon de la candidate à l’élection présidentielle Ségolène Royal, François Hollande, a lui aussi pris parti au côté de l’hebdomadaire satirique. « Ce procès n’aurait jamais dû avoir lieu« , a estimé François Hollande, cité comme témoin par la défense du journal. « Il valait mieux un bon débat qu’un mauvais procès« , a-t-il expliqué à la barre mercredi. François Bayrou, candidat centriste (UDF) à l’élection présidentielle, présenté comme le troisième homme de celle-ci, est également venu défendre Charlie Hebdo.

Trois dessins sont en cause, dans cette édition du 8 février 2006, parue dans le tumulte lié à la publication des caricatures de Mahomet par le journal danois Jyllands Posten. En premier lieu, la couverture du numéro du 8 février 2006, réalisée par Cabu pour Charlie Hebdo, représentant, sous le titre « Mahomet débordé par les intégristes« , un prophète soupirant : « C’est dur d’être aimé par des cons« . Les deux autres dessins incriminés font partie des douze caricatures danoises, que le journal avait également republié : l’un représente le prophète coiffé d’un turban d’où sort la mèche d’une bombe, et le troisième, Mohamed sur un nuage accueillant des terroristes en leur disant : « Arrêtez, arrêtez, nous n’avons plus de vierges!« .

L’accusation des deux associations musulmanes repose sur l’amalgame fait selon elles entre musulman et terroriste. Ce que dément Philippe Val, directeur de la publication du journal. Selon lui, les caricatures incriminées ne portent pas en elles le moindre racisme. Si tel avait le cas, a-t-il assuré, son journal ne les aurait pas publié. « Lorsque la religion prétend organiser le collectif et la vie des autres, elle doit faire l’objet de critiques. Cela fait partie du jeu démocratique » a martelé Philippe Val dans une salle bondée où le public était acquis à sa cause. « Ces dessins s’adressent à des idées, pas à des hommes, à des idées défendues par des hommes qui commettent des actes violents », a-t-il rappelé pour justifier la publication de ces dessins. Antoine Sfeir, spécialiste du Proche-Orient cité par Charlie Hebdo, a déclaré que le recteur de la Grande mosquée de Paris, dont il est proche, avait eu recours à la justice « pour ne pas se faire déborder par les intégristes« . La fonction de M. Sarkozy, ministre de l’Intérieur, et chargé des cultes, a suscité la colère de certains membres du CFCM. Toutefois M. Sarkozy a pris soin d’intervenir en tant que candidat à la présidentielle et non en tant que ministre, d’où le renoncement du CFCM à exiger sa démission. La Grande mosquée de Paris, l’UOIF et la Ligue Islamique Mondiale, demandent chacune 30.000 euros de dommages et intérêts.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 9 février 2007

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