Sarkozy investi candidat à la présidentielle

Antony DRUGEON

Animateur de communauté associative

Jan 16, 2007
Sarkozy investi candidat à la présidentielle

Son sacre de dimanche le lance officiellement dans la course à l’Elysée, face à Ségolène Royal.

Seul candidat en lice, Nicolas Sarkozy a remporté l’investiture de l’UMP avec le score de 98,1% (1,9% de votes blancs, 69,06 de votants). Il a donc réussi son pari de réunir la droite à l’approche des présidentielles et législatives de 2007. Un sacre, pour celui qui ne fait l’unanimité ni chez les Français, ni même à droite. Mais porté par des sondages flatteurs depuis quatre ans, il a réussi à s’imposer comme le candidat naturel de la droite, face à l’opposition des chiraquiens, du président lui-même au Premier ministre Dominique de Villepin. Celui qui affronterait – d’après les sondages – Ségolène Royal au second tour de l’élection présidentielle fait encore peur à 51% de Français. Paradoxe, qui s’explique par le style de l’homme politique, tout en vivacité, en provocation, en « parler-vrai ». Il n’hésite pas à chasser sur les terres du Front National (FN) de Jean-Marie Le Pen en s’en prenant aux immigrés (déclarations tonitruantes sur la « racaille » des banlieues à « nettoyer au Kärcher » ou appelant les immigrés à « aimer la France » ou à la « quitter ») ou en prônant une politique sécuritaire ferme.
Parmi ses coups d’éclat, sa position intransigeante face aux islamistes réclamant le droit pour les femmes de poser voilées pour les photos d’identité. Cet adepte de la « culture du résultat » sillonne la France, tance devant les caméras un commissaire accusé de privilégier la prévention au détriment de la répression, pourfend les « droits de l’hommistes » , et va au contact dans les quartiers chauds.
Epouvantail de la gauche, il effraie également par ses choix de politique économique. Libéral, ses positions sur la protection sociale ou la loi des 35h de travail par semaine en font un adepte de la « rupture ». Jugé communautariste, il prône la fin de la politique d’assimilation, un aménagement de la laïcité, vers plus de souplesse. Perçu comme atlantiste, il fait scandale en allant poser devant les photographes avec Georges W. Bush dans son bureau.
Trop controversé pour être consensuel, il mobilise encore beaucoup contre lui. C’est pour cela qu’il s’est immédiatement tourné « vers tous les Français », en affirmant vouloir être « le président de la France unie ». Reste à savoir si cet adepte de l’affrontement et du « parler-vrai » saura trouver le ton face à l’autre favorite des sondages, Ségolène Royal, candidate socialiste dont l’atout principal est une image alliant proximité, simplicité, et rigueur.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 16 janvier 2007

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Jan 9, 2007
La guerre en Irak se joue au Congrès américain

Les démocrates mettent la pression sur George W. Bush, et celui-ci sur le gouvernement irakien.

Mercredi, le président américain George W. Bush doit présenter ses nouvelles orientations pour l’Irak, alors que le nouveau Congrès à majorité démocrate vient de se réunir. Elus sur un programme de désengagement en Irak, les démocrates n’entendent pas « signer un chèque en blanc » à l’administration Bush en Irak, a prévenu Nancy Pelosi, présidente démocrate de la Chambre des Représentants. Une façon d’avertir que le Congrès, désormais contrôlé par les Démocrates, pourrait refuser de financer tout déploiement de troupes supplémentaires en Irak.
Le président Bush hésite entre volonté de conciliation et persévérance, contraint à aboutir son projet de pacification de l’Irak pour sortir la tête haute de ce dossier. Ainsi, il est souvent évoqué dans l’entourage du président un envoi de troupes supplémentaires pouvant atteindre 20.000 hommes. Face aux réticences démocrates, le chef du groupe républicain au Sénat dit douter que les Démocrates aient la volonté – ou les moyens – de refuser de financer le projet du président. « Le Congrès est incapable de gérer la tactique de la guerre dans le détail » a déclaré Mitch McConnell. Si le Congrès n’a effectivement pas son mot à dire en matière de politique étrangère comme de défense, il est cependant souverain en matière budgétaire. Ainsi Nancy Pelosi se permet de poser ses conditions à George W. Bush : elle a ainsi déclaré dimanche que son parti ne s’opposait pas à une augmentation globale des effectifs de l’armée « pour protéger le peuple américain de toute menace contre nos intérêts » et ne couperait pas les fonds destinés aux soldats déjà envoyés en Irak. Mais toute demande de financement pour l’envoi de nouvelles troupes ferait l’objet d’un « examen minutieux ». « Il revient au président de justifier les moyens supplémentaires qu’il demande pour une mission » a-t-elle déclaré.
Toutefois, compte tenu des divisions internes des Démocrates à ce sujet, il n’est pas certain que l’étroite majorité du parti de l’âne parvienne à influencer la conduite de la guerre par l’administration Bush. Ainsi le président américain se permet de reprendre l’initiative sur l’Irak. Le nouveau plan sur l’Irak qu’il doit présenter mercredi comprendrait, selon le New York Times, des objectifs que le gouvernement irakien devrait remplir pour atténuer les tensions communautaires. Selon le journal, qui cite sans les nommer de hauts responsables de l’administration américaine, le président George W. Bush demandera notamment à Bagdad d’intégrer davantage de représentants de la minorité sunnite dans le processus politique national, et de concrétiser un projet de loi sur la répartition des recette pétrolières entre régions et communautés, là encore pour apaiser les sunnites.
Autre geste d’ouverture envers les insurgés sunnites, généralement baasistes : une plus grande modération dans la politique gouvernementale vis-à-vis des anciens membres du parti Baas. Peut-être une façon pour le président américain de se décharger du problème sur le gouvernement irakien, au cas où un redéploiement militaire en Irak serait rendu impossible par les Démocrates.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 9 janvier 2007

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Jan 8, 2007
Israël projetterait des attaques militaires contre l’Iran

Révélations du Sunday Times

Israël projetterait des attaques militaires contre l’Iran

Malgré les démentis d’Israël, Téhéran monte le ton.

Le journal britannique The Sunday Times vient de révéler que l’Etat d’Israël a élaboré un plan secret pour détruire les sites iraniens d’enrichissement d’uranium au moyen d’armes tactiques nucléaires. S’appuyant sur des déclarations anonymes de sources militaires israéliennes, l’hebdomadaire explique ainsi que deux escadrilles de l’armée de l’air se sont exercées en vue d’un éventuel bombardement de la centrale nucléaire de Natanz, en Iran, avec des bombes à pénétration contenant de l’uranium appauvri, connues sous le nom de « bunker busters ». C’est à Natanz que l’Iran dit avoir l’intention 3.000 centrifugeuses, où deux cascades de 164 centrifugeuses sont déjà en service. Deux autres sites iraniens, un réacteur à eau lourde à Arak et des infrastructures de transformation d’uranium à Ispahan, seraient visés de leur côté par des bombes conventionnelles, poursuit le Sunday Times. Le journal ajoute que les plans israéliens prévoient l’utilisation de bombes conventionnelles à guidage laser pour percer des « tunnels » dans les objectifs. Des ogives nucléaires seraient ensuite tirées dans les orifices afin qu’elles explosent en profondeur dans le sous-sol et que les retombées radioactives s’en trouvent limitées.
Selon le Sunday Times, des pilotes de Tsahal ont effectué ces dernières semaines des vols jusqu’à Gibraltar pour s’entraîner sur la distance de 3.200 kilomètres aller-retour qui sépare Israël des cibles iraniennes. Parmi les itinéraires envisagés, l’un d’eux survolerait la Turquie, ami privilégié d’Israël dans la région.
Ces révélations ont l’apparence de fuites, mais le Sunday Times estime lui-même que des plans aussi secrets pourraient avoir été en fait communiqués à la presse pour volonter l’accentuer la pression sur Téhéran. La réaction iranienne ne s’est d’ailleurs pas fait attendre.
« Toute action mil contre la République Islamique ne retera pas sans réponde et l’agresseur regrettera très vite son acte » a en effet déclaré le porte-parole du ministère des Affaires Etrangères, Mohammad Ali Hosseini, lors d’une conférence de presse.
Cependant un haut responsable israélien a jugé « absurdes » ces informations. « Penser que nous lancerions une attaque à la bombe atomique contre l’Iran et qu’en plus nous irions le révéler à l’avance à un journal étranger est doublement ridicule » a-t-il déclaré, sous couvert d’anonymat.
Israël a toujours refusé d’écarter l’hypothèse de frappes préventives, à l’image du raid aérien lancé en 1981 contre un réacteur nucléaire en Irak. Toutefois, de nombreux analystes estiment que dans le cas de l’Iran, Israël ne pourrait se lancer seul dans une telle offensive. Le Sunday Times cite par ailleurs des sources qui précisent que le recours à des frappes nucléaires serait décidé seulement si une attique conventionnelle était écartée et si les Etats-Unis refusaient d’intervenir. Washington n’exclut pas l’option militaire, mais privilégie pour l’heure la voie diplomatique.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 8 janvier 2007

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Déc 25, 2006
Espoir teinté de scepticisme à l’occasion de la rencontre Olmert-Abbas à Jérusalem
Le président palestinien Mahmoud Abbas et le Premier ministre israélien Ehoud Olmert.
Le président palestinien Mahmoud Abbas et le Premier ministre israélien Ehoud Olmert.

Face à leurs opposants internes, les deux dirigeants ont tenté de reprendre la main en relançant le processus de paix.

Ils savent qu’ils jouent gros. En recevant samedi pour la première fois le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, Ehoud Olmert, le Premier Ministre israélien se résout à faire un signe d’ouverture alors qu’il ne parvient plus à imposer son autorité en Israël depuis la guerre du Liban. De son côté, le président palestinien doit montrer à son opinion publique que le processus de paix ne passe que par lui, alors qu’il vient de convoquer des élections anticipées pour reprendre la main face au Hamas. Les deux dirigeants relancent donc le processus politique non sans arrière pensées politiques : la relance du processus de paix interrompu en 2000 dépendra de leur capacité à convaincre auprès de leurs opinions publiques respectives du succès de celui-ci.

Israël sait donc qu’il lui faut faire des concessions pour éviter que le Hamas ne soit réélu au Parlement palestinien. La ministre israélienne des Affaires étrangères, Mme Tzipi Livni, ne cache pas que tel est l’objectif de son gouvernement : « Il faut que le peuple palestinien comprenne qu’il y a deux options : celle qui existe actuellement avec un gouvernement terroriste qui ne peut satisfaire ses besoins quotidiens et politiques, tandis qu’il peut avoir une alternative capable de traiter de leurs besoins quotidiens et leur offre un horizon politique » a-t-elle affirmé à la radio de l’armée israélienne. Le gouvernement israélien a donc profité de l’occasion pour voter à l’unanimité le transfert de 100 millions de dollars au bureau du président palestinien. Ces fonds seront prélevés sur une partie des taxes douanières et de la TVA prélevées par Israël pour le compte de l’Autorité palestinienne sur les produits importés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ces fonds avaient été gelés au début de l’année en guise de sanctions après la victoire aux élections législatives des islamistes du Hamas et la formation en mars d’un gouvernement sous sa direction. « Il s’agit ainsi d’équilibrer l’aide financière accordée par l’Iran au Hamas », a déclaré le vice-premier ministre Shimon Pérès à la radio publique.

Reste l’épineuse question des prisonniers. Ehoud Olmert ne pouvant apparaître trop conciliant alors que la droite dure reprend de la vigueur en Israël, la rencontre de samedi n’a abouti à aucun accord sur la libération des prisonniers palestiniens et du soldat Gilad Shalit enlevé. Mais les deux parties ont convenu de réactiver une commission mixte chargée de déterminer la liste des personnes à libérer. M. Miri Eisen, porte-parole de M. Olmert, a souligné qu’Israël est prêt à libérer un grand nombre de prisonniers palestiniens, mais « il n’y aura pas de libération de prisonniers avant le retour de Gilad Shalit ». Un signe de fermeté pour que les faucons en Israël ne récupèrent pas les fruits politiques de ces accords. Déjà, la droite israélienne y réagit avec hostilité : le député du Likoud (opposition de droite) Sylvan Shalom a dénoncé la remise des taxes douanières et de la TVA à l’Autorité palestinienne en estimant qu’Israël « va encourager la Communauté internationale notamment les Européens à briser l’embargo financier imposé à l’Autorité palestinienne ». Du côté palestinien, le ministre chargé des prisonniers, Wasfi Kabha (Hamas), a estimé que « cette rencontre n’était que de la poudre aux yeux ». « Aussi bien Abou Mazen (Mahmoud Abbas) qu’Ehoud Olmert sont confrontés à une crise interne et ils se sont rencontrés uniquement pour dire qu’ils espèrent reprendre des négociations », a critiqué ce ministre.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 25 décembre 2006

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Déc 21, 2006
10.000 € pour fuir le « bled »

Pour 10.000 euros, des faux contrats de travail en Espagne sont vendus à des Marocains rêvant de l’eldorado européen.

Adil, 24 ans, le regard un peu perdu, explique avec amertume le choix qu’il a fait. Travaillant à Casablanca dans un centre d’appel, démarchant des clients en Belgique, il gagne plus de 4000 dh par mois, mais ne supporte plus le rythme effréné imposé par l’employeur. Le manque de perspectives professionnelles au Maroc le déprime. Émigrer en Europe, il en a longtemps rêvé. « Ici, même si je peux trouver du travail, à Casablanca, je suis loin de ma famille, à Oujda, et de toute façon je serai tout aussi précaire dans dix ans… Alors autant partir en Espagne » soupire-t-il. Quand l’occasion s’est présentée, il y a quelques mois, il a tout de suite été d’accord. Son « bienfaiteur », un Marocain patron d’un grand restaurant au Nord de Madrid, lui propose un poste à durée indéterminée. Avec les précieux papiers qui vont avec. Mais moyennant 10.000 euros, presque 100.000 dirhams. Une fortune, qu’il essaie toujours d’amasser. Mais c’est le prix du marché.

Tahar, 20 ans, vient de payer la même somme. Il explique : « C’est le prix que proposent tous les intermédiaires, auparavant c’était moins cher, mais ça a monté. Je connais des amis qui sont partis pour 5.000 euros, il y a deux ou trois ans ». Lui va quitter en janvier son poste reconnu et qualifié à Casablanca dans un centre de support technique pour une grande entreprise informatique, contre un autre poste d’ouvrier dans une usine de boîtes de conserve, à Barcelone. Un contrat de tout juste un mois, mais qui lui permettra d’obtenir les si convoité visa. A l’expiration duquel Tahar basculera dans la clandestinité.

Le procédé est bien rodé : le patron espagnol vend son contrat, un contrat à durée déterminée, à un commissionnaire. « Dans mon cas, raconte Tahar, l’entreprise n’est qu’une façade, elle sert de vitrine : son seul fonds de commerce est le commerce des contrats. C’est un MRE qui a créé cette entreprise après avoir épousé une Espagnole », dit-il. Le commissionnaire achète le contrat à 7.000dh et le revend à 10.000dh à un Marocain qu’il rencontre en se rendant sur place. Avec la plus-value, il prend en charge les frais d’avocat en Espagne pour obtenir l’autorisation d’entrée sur le territoire, grâce au contrat de travail et après s’être assuré que l’aspirant émigrant n’a aucun antécédent judiciaire, ni maladie contagieuse. Le consulat, après avoir vérifié les informations auprès de l’employeur, délivre le visa. Les besoins de l’économie espagnole en main d’œuvre bon marché permettent ce genre d’initiatives, là où l’émigration vers la France, en revanche, fonctionne plus mariages blancs, en général.

Le contrat de travail ne joue que le rôle de prétexte pour le précieux visa. Car rares sont ceux qui gardent le poste en question. Dès la fin du contrat, ils partent vers une autre ville d’Europe, rejoignant un proche, le plus souvent en France, mais aussi en Belgique, ou aux Pays-Bas. Adil comme Tahar rêvent de reprendre leurs études, ils ont des ambitions professionnelles, qu’ils savent irréalisables au Maroc : Tahar pense même à devenir cinéaste. Mais pour atteindre ce rêve, ils savent qu’il leur faudra éviter quelques écueils. Notamment ceux des faux intermédiaires : prétendant vendre un contrat de travail, ceux-ci repartent en Espagne avec un chèque, laissant un escroqué derrière eux. Mais là encore, l’imagination des candidats à l’émigration a trouvé une parade : dans le milieu, il est devenu courant d’exiger de l’intermédiaire qu’il donne un chèque de caution, que la famille rendra une fois la « transaction » achevée. Autre sécurité par éviter l’arnaque : il est courant d’être mis en relation avec un passeur via un ami ayant déjà expérimenté ses services. Dans ce cas, la recommandation vaut garantie.

Car le bouche-à-oreille est bien sûr au centre de cette activité, illégale. L’offre ne s’affiche évidemment pas au grand jour. Pour Adil comme Tahar, c’est la famille qui a permis de trouver l’intermédiaire. Adil raconte ainsi : « C’est ma mère qui, en se rendant à ses cours de gym, a appris qu’une de ses amies avait un frère en Espagne, et celui-ci cherchait un employé pour son restaurant ». Et c’est encore la famille qui cotise pour payer la somme faramineuse qui permet à l’un des leurs de partir.
De tels efforts et ressources, consacrés au simple objectif de fuir le pays, ne manquent pas de soulever des questions : avec respectivement un diplôme de gestion et comptabilité et une licence en informatique, Adil et Tahar n’envisagent même pas de réaliser leurs rêves dans leur pays. Ce trafic de contrats de travail ne fait finalement que révéler la profondeur de cette désillusion.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 21 décembre 2006

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Déc 18, 2006
Aïd ou réveillon, le dilemme des débits d’alcool

La loi sera plus souple cette année, sans doute du fait d’un calendrier particulier, qui fait coïncider aïd et réveillon du nouvel an.

Mohamed, 56 ans, ne décolère pas, au comptoir d’un bar de Casablanca : « C’est n’importe quoi« , dit-il, la main agrippant solidement sa bière. Assumant pleinement sa « marginalité », il ne comprend pas pourquoi la loi est si dure avec les habitués de ce bar tranquille, où de nombreux hommes, tous quinquagénaires, viennent se retrouver devant un match de football. Il parle de la fermeture des débits d’alcool à l’approche de l’aïd, bien sûr. Visiblement tous clients réguliers, les autres clients occupent les lieux en donnant l’impression d’être chez eux. Le ton monte facilement, les gestes se font larges pour accompagner la parole, habituellement plus policée, au travail ou au foyer. L’ambiance est bonne enfant, mais le gérant a accroché un écriteau sur un mur flanqué d’un avertissement ferme :  » Le crédit est mort, assassiné par les mauvais payeurs« .

S’il a peur de l’interdiction d’ouvrir durant les cinq jours entourant l’aïd ? Il répond en riant. « Chaque année c’est pareil ! Les clients viennent avant la fermeture, et je les retrouve aussitôt à la réouverture ! « . Il s’apprête donc, philosophe, à s’offrir un petit congé. Mais cette année, l’aïd coïncide avec le nouvel an. Une festivité qui de toute façon ne le concernait pas, dans son petit bar sans prétention, fréquenté seulement par des travailleurs modestes et des retraités venus tuer le temps. Mohamed, lui, est bien organisé pour passer au mieux cette phase délicate : « Comme on ne sait jamais précisément les dates de fermeture, je fais toujours mes provisions bien à l’avance, au supermarché » avoue-t-il. Et justement les supermarchés s’attendent à faire davantage de ventes dans les jours précédent la fermeture, comme l’atteste la fréquentation plus élevée des rayons alcool à cette période.

Le son de cloche est différent à La Bodega, bar festif du cœur de Casablanca. Là, la jeunesse dorée de la capitale économique a l’habitude de venir danser dans une ambiance purement espagnole, des tapas à la sangria. Et sans surprise, la suppression pure et simple de la soirée du nouvel an, ça ne réjouit pas le gérant. Celui-ci fait la grise mine à la seule évocation de la question. « Le manque à gagner est important » lance-t-il sobrement. Sont concernés bien sûr tous les autres bars dansants et les discothèques, ainsi que les restaurants.

En revanche, la loi ne s’applique pas de la même manière au sein des hôtels. En contactant plusieurs hôtels haut de gamme, la réponse donnée est sensiblement la même : l’alcool est servi, mais, du fait de cette période exceptionnelle, uniquement aux non-musulmans. Et, en fonction des établissements, la carte d’identité peut être demandée. L’étrangeté est donc que la loi censée s’appliquer toute l’année n’est donc respectée que durant les fameux cinq jours de l’année. Le degré de religiosité varie donc en fonction de la solvabilité de la clientèle. Une hypothèse confirmée auprès des hôtels de grand luxe, de quatre à cinq étoiles : là la réponse est qu’il n’y a aucun problème pour servir de l’alcool à des musulmans. Pour les bourses les plus fortunées, l’interdiction de consommer de l’alcool passera donc inaperçue.

D’ailleurs certaines agences de voyage ont compris qu’il y avait un filon à exploiter : les offres de séjours de courte durée à Malaga ou Algeciras se multiplient, à l’attention de ceux qui sont bien résolus à arroser le début de l’année 2007, mais que le cadre guindé (et le prix) des restaurants de luxe effraie. L’imagination des fêtards ne connaît donc pas de frontières.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 18 décembre 2006

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Déc 11, 2006
Clôture du festival de cinéma de Marrakech

Clôture du festival de cinéma de Marrakech

Le combat pour la liberté primé par le jury

Le film allemand Le perroquet rouge remporte un beau succès avec le prix de l’interprétation masculine et le grand prix, l’Etoile d’Or.

La cérémonie de clôture du festival international du film de Marrakech s’est tenue samedi soir au Palais des Congrès de la ville ocre. Comme toute cérémonie de clôture et de remise de prix, elle attisait l’impatience des festivaliers et des curieux, venus nombreux assister à l’arrivée de nombreuses stars du cinéma mais aussi du petit écran. Les Marrakchis ont ainsi pu voir entrer au Palais des Congrès, le comédien Ferkous, la comédienne Mouna Fettou, qui a ouvert la cérémonie, et Jammel Debbouze, très attendu par le public et les jeunes notamment.

L’impatience des journalistes aidant, Roman Polanski, président du jury, avait donné un avant-goût des résultats, se gardant bien pour autant de les divulguer : le cinéaste s’était contenté de saluer l’engagement politique de nombreux films en compétition. Et de fait, cette année, les films récompensés sont tous porteurs d’un message politique. Le prix de l’interprétation féminine est revenu à Fatou N’Diaye, pour son rôle dans le film canadien Un dimanche à Kigali. Ce film dur sur le génocide rwandais en 1994 est une adaptation du roman de Gil Courtemanche, Un dimanche à la piscine à Kigali. Le grand prix du jury a été attribué au film roumain Hirtia va Fi Albastra (Le papier sera bleu). Ce film du réalisateur Radu Muntean évoque la révolution en 1989 contre la dictature de Ceaucescu.

Le prix de l’interprétation masculine quant à lui est revenu à Max Riemelt, pour son rôle dans Le Perroquet Rouge. Ce film a été le grand gagnant de la soirée, honoré de surcroît par l’Etoile d’Or. Max Riemelt y incarne le personnage principal, un jeune allemand de l’Est découvrant à son arrivée en ville de sa campagne natale la vie festive et moderne des jeunes, mais aussi, rapidement, la surveillance d’Etat, le contrôle des idées etdes loisirs. L’artiste y découvre l’amour interdit, apprend à se jouer de l’Etat totalitaire, vivant de contrebande. Mais l’étau étatique se resserrant rapidement, le choix se fait entre rester dans la peur ou partir pour un Berlin énigmatique et étranger. Tragiquement, le fonctionnement froid, efficace, et rusé de la machine d’Etat divise les amis, brise les couples, jusqu’à dresser un mur entre les hommes, de peur que l’échec du système idéologique qui le sous-tend. La raison d’Etat dans toute sa rigueur, son impersonnalité, peut-elle appréhender dans toute sa profondeur les aspirations, les désirs, d’êtres ayant pour seule motivation leur propre quête du bonheur ? Le film laisse à penser que non, là où les accusations de contrebande et de comportement anti-socialiste ne servent qu’un intérêt, celui des gouvernants.

Un bel hommage à la tous ceux qui résistent aux abus des pouvoirs, qui met résolument la sixième édition du festival sous le signe de la liberté.

Antony Drugeon, LIBERATION, 11 décembre 2006

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Déc 4, 2006
Le SNESup divisé suite aux propositions du ministère

Dossier des professeurs titulaires de doctorats français

Le SNESup divisé suite aux propositions du ministère

La direction du Syndicat affronte le désaccord d’une partie importante de la base après avoir accepté les propositions du ministre de l’Education nationale, M. Habib El Malki.

Rien ne va plus au SNESup (Syndicat National de l’Enseignement Supérieur). De nombreuses sections locales et régionales affichent ouvertement leur opposition à la direction du syndicat. Une situation conflictuelle mais somme toute relativement ordinaire dans la vie syndicale. Sauf que cela fait désormais un mois qu’une quinzaine de professeurs titulaires de doctorats français pratique de surcroît la grève de la faim pour obtenir la reconnaissance de leur diplôme.
Cette mobilisation très démonstrative semble s’adresser autant au gouvernement, qui vient de faire des propositions sur le dossier des professeurs doctorants français, qu’à la direction du syndicat SNESup, qui a accepté celles-ci, au terme de deux ans de négociations. En effet, cette grève de la faim a débuté alors que les prémices de l’accord entre le ministère et le syndicat se faisaient jour.

Ainsi, Abderrahim Habbou, enseignant-chercheur à l’Université Hassan II de Mohammédia, membre adhérent du SNESup opposé à la direction, explique : «Ce que nous demandons, ce n’est ni plus ni moins que l’alignement du régime des professeurs titulaires de doctorats français sur celui de ceux titulaires d’autres doctorats étrangers». Le projet du ministère prévoit deux choses : d’une part, les professeurs en question, lésés par leur statut octroyé jusque-là de professeurs assistants, se voient reconnus l’ancienneté à laquelle ils auraient eu droit s’ils avaient été recrutés directement au poste de Professeur Habilité, comme c’est le cas de leurs confrères titulaires de doctorats belges, allemands, espagnols, etc. D’autre part, et c’est là que se situe la pierre d’achoppement, la possibilité de passer au troisième et dernier grade, celui de Professeur de l’Enseignement Supérieur, est reconnue à ces professeurs, mais selon la «nouvelle» procédure, celle issue de la réforme globale du système survenue en 1997. Car avant 1997, le passage au grade de Professeur de l’Enseignement Supérieur était automatique au bout de quatre ans. Une disposition abrogée par le nouveau statut de 1997, qui prévoit un concours pour passer ce grade.

Les opposants du SNESup réclament qu’on leur applique la législation qui aurait dû leur être appliquée puisqu’ils sont rentrés dans l’enseignement avant 1997. «Le problème du concours, c’est qu’il y aura un quota d’admissibles, et tout le monde ne bénéficiera pas de ce à quoi il a pourtant droit», continue M. Habbou. Du côté de la direction du SNESup, on voit les choses autrement. «Quand on dit négociations, on dit compromis», explique Youssef El Kouari, membre du Bureau national du SNESup. «La solution retenue garde le fond de nos revendications : l’ancienneté et le grade de Professeur de l’Enseignement Supérieur.» Quant au concours, M. El Kouari n’y voit pas de menace. «Il y aura autant de postes ouverts qu’il y a de personnes impliquées dans ce conflit; il ne s’agit pas à proprement parler d’un concours, mais simplement d’un dépôt de dossier scientifique. C’est une démarche académique», poursuit-il. Toujours est-il que ces affrontements vont inévitablement dominer les débats lors du prochain congrès du SNESup.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 4 décembre 2006

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Déc 4, 2006
L’exposition du voyage intérieur

Exposition « Amour et méditation», contre le Sida.

L’exposition du voyage intérieur

Ahmed El Amine expose des œuvres tout en sensibilité et pudeur sur les autres, dans un esprit teinté de soufisme, et se mobilise ainsi contre le Sida.

Le soufisme s’invite en force dans les tableaux d’Ahmed El Amine. Ce peintre amoureux de la quête perpétuelle du style comme de la technique expose actuellement ces œuvres au café Amphytrium de Casablanca, avec cette inspiration soufie revendiquée : les tableaux, tout en retenue, en discrétion, semblent des songes échappés de l’esprit méditatif de leur auteur. Clairement, les personnages, en cercle, vêtus de façon ample, asexués, communiquent une impression de solidarité tranquille, la cohésion de tous se faisant comme par évidence, sans heurts ni relation de pouvoir. L’être est là, avec sa dignité, sa retenue, sa différence aussi. Petits ou grands, plutôt hommes ou femmes, tous finissent par fusionner en bas de tableaux en une seule étoffe, impression accentuée par la peinture ou les traces d’eau coulant volontairement. Les couleurs, chaudes, mais opaques, invitent à voyager, peut-être jusqu’en Afrique, au moins jusqu’à Marrakech. Variations de couleurs ocres, toutes homogènes, les tableaux dessinent un univers en soi, où la vitesse est inconnue, où l’ode à la douceur est permanent. A l’unisson en se tenant par les bras, créant un cercle de pureté par leur entente, ou se faisant face comme pour se chercher, ces personnages indistincts et pourtant pluriels posent la question du vivre-ensemble. Vivre ensemble possible dans le recueillement, le respect, l’humilité.

Mais deux périodes, deux inspirations s’affrontent dans cette même exposition. D’autres toiles, plus lumineuses, aux couleurs froides et vives, vont encore plus loin dans la dépersonnalisation des personnages. Formes géométriques et grands aplats de couleur s’articulent pour suggérer des visages, des corps, des situations. Le visiteur est laissé libre de donner à la toile son sens, et même son titre.
Le baiser, les couples sur des bancs, la femme avec son enfant, sont autant de figures éternelles et innocentes où la sensualité et l’imagination du visiteur s’exprimeront avec liberté, le peintre revendiquant fièrement le rôle actif du spectateur dans la peinture.
Une position plus que jamais d’actualité puisque cette exposition se donne une ambition sociale, à laquelle le visiteur est invité à participer lui-même. En effet, 20% du prix de chaque œuvre est reversé à la fondation Sida Entreprises Maroc, plate-forme d’entreprises œuvrant à la lutte contre le Sida au côté de l’ALCS (Association de Lutte Contre le Sida), et qui a déjà, à son actif, la réalisation de formation de pairs éducateurs dans les entreprises pour y faciliter la sensibilisation au sein du monde du travail. Le nom de l’exposition, Amour et méditation, renvoie donc autant aux sujets évoqués qu’à la démarche. A méditer.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 4 décembre 2006

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Nov 15, 2006
La famille marocaine entre modernité et solidarité

Il est fréquent d’entendre que la modernité, la mondialisation, voire l’occidentalisation, tendent à amoindrir la solidarité dans la société en général et la famille en particulier. Hors une étude de l’Université Hassan II-Mohammedia sur l’évolution de la famille marocaine vient nuancer cette affirmation.

Selon cette étude, les liens familiaux restent en effet très forts même pour les générations les plus jeunes : la quasi-totalité des Marocains (97%) estime ainsi qu’il est du devoir des enfants de prendre en charge leurs vieux parents contre seulement 2% pour qui ce devoir incombe à l’Etat et aux auspices de bienfaisance. De même, la majorité des parents (65%) considère toujours que les enfants constituent une sécurité pour l’avenir, ce qui montre que la solidarité familiale reste une valeur centrale et sacrée chez les Marocains, selon cette enquête.

Mais cela étant, le rapport des Marocains à la famille évolue. Car si nous déclarons accorder la plus haute importance à la famille, nous faisons pourtant de moins en moins d’enfants (la moyenne d’enfants par famille est de 3,72).

L’enquête suggère qu’il n’y a pas lieu de voir là une contradiction, y analysant un changement profond dans la représentation sociale que les Marocains ont des enfants. Cette mutation, typique des sociétés de moins en moins traditionnelles, accompagne la volonté plus ou moins consciente des parents d’accorder davantage d’attention à chaque enfant. L’enquête suggère comme explication l’importance croissante accordées aux études et au coût qu’elle occasionne chez les parents.

Cette enquête nous apprend d’ailleurs que la famille nombreuse est moins idéalisée. La moyenne du nombre idéal d’enfants par famille est de 2,92. Presque la moitié des sondés (46%) fait le choix de deux enfants au maximum. Les gens qui préfèrent 3 enfants ou 4 enfants représentent respectivement 28% et 18%. Le modèle de la famille nucléaire, moderne – un père, une mère, 2 enfants – semble donc s’installer, sur le modèle des sociétés occidentales.

Choisir son conjoint

Concernant la nature des rapports entre enfants et parents, la majorité (74%) est favorable au dialogue. Les gens qui sont encore attachés (ou qui se disent encore attachés) aux pratiques du passé sont peu nombreux (8%), à tel point que l’on peut dire que la responsabilité parentale est de moins en moins autoritaire.

L’autonomie du couple, à en croire l’enquête, est également valorisée: 57% préfèrent avoir un logement autonome et optent par la même occasion pour la famille nucléaire. Ceux qui souhaitent continuer à vivre avec leurs parents et donc manifester ainsi une préférence pour la famille étendue ne représentent plus 39% des personnes interrogées.

Pour les auteurs de l’enquête, le choix du conjoint est un indicateur qui permet d’apprécier l’autonomie des enfants. 79% trouvent que c’est le garçon qui doit lui-même choisir son épouse. Le taux baisse à 67% lorsqu’il s’agit du choix de l’époux par la fille. Ce qui illustre une rupture avec la tradition dominée par les mariages arrangés, quoique le consentement puisse être quelquefois formel.

Cette modernisation des liens familiaux éloigne tout de même les membres des familles. 31% rendent visite à leurs parents régulièrement (au moins une fois par mois), 46% rarement et 15% ne le font qu’à l’occasion des fêtes. Mais dans ce cas les valeurs semblent moins en être l’explication que les difficultés matérielles et l’éloignement géographique croissant.

Autre bémol, et de taille, à apporter à cette modernisation des rapports sociaux : les relations familiales restent tout de même marquées par des rapports hiérarchiques et autoritaires : 79% des personnes interrogées trouvent que l’obéissance de l’épouse à l’époux favoriserait l’entente au sein de la famille. Les deux types de relations familiales sont fondés sur des valeurs différentes, sinon opposées: d’un côté le dialogue (accepté pour les relations avec les enfants) et de l’autre, l’obéissance (encore de rigueur au sein du couple).

Cette enquête de l’Université Hassan II-Mohammedia a été menée auprès d’un échantillon représentatif de 1.000 personnes couvrant la quasi-totalité du territoire national. Les critères retenus par l’étude sont le milieu de résidence (urbain/rural), le sexe, l’âge, l’état matrimonial, le niveau scolaire et la profession.

Antony Drugeon, LIBERATION, le 15 novembre 2006

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Oct 24, 2006
Les prisons affichent complet
Les conditions de vie dans les prisons sont une atteinte aux droits de l'Homme.
Les conditions de vie dans les prisons sont une atteinte aux droits de l'Homme.

Un rapport de l’Observatoire marocain des prisons pointe du doigt les conditions de vie en prison.

Sans créer la surprise, cette publication remet d’actualité la question des conditions de vie en prison. Les pénitenciers, arrivés à saturation, offrent des conditions de vie qui « ne répondent pas aux besoins de la vie digne« , avait déclaré notamment Mohamed Abdennabaoui, directeur de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion. Il avait proposé en juillet un programme de construction d’établissements pénitentiaires offrant les conditions normales de la vie et les normes de dignité (infirmerie, hygiène, propreté, prévention) et dotés des sites d’activité pour l’éducation et la formation des prisonniers. Mais le problème principal des prisons marocaines est le surpeuplement, la capacité actuelle d’hébergement ne suffisant qu’à la moitié des effectifs.

« Les établissements pénitentiaires reçoivent plus que le double de leur capacité d’hébergement supposée« , a affirmé jeudi le président de l’Observatoire, Abderrahim Jamaï, dans une conférence de presse pour la présentation du rapport annuel de son institution, même si l’Observatoire admet qu’il y a eu des effets positifs de l’augmentation du nombre des établissements pénitentiaires. La surpopulation a des « conséquences graves » sur la vie dans l’espace carcéral, en ce sens qu’elle favorise la promiscuité et la violence et gêne grandement les fonctionnaires dans l’accomplissement de leur mission d’encadrement des prisonniers, explique M. Jamaï.
Le rapport fait état d' »insuffisances de services« , particulièrement en matière d’hygiène personnelle, d’alimentation, d’enseignement, de formation professionnelle et de soins de santé. Le rapport propose plusieurs recommandations pour l’amélioration de la situation dans les prisons marocaines, notamment « la nécessité urgente d’harmoniser la législation marocaine avec les conventions internationales des droits humains, particulièrement en ce qui concerne les conditions minimales de traitement des détenus« .

L’Observatoire se prononce en outre pour l’abolition de la peine de mort, et dénonce des entorses au principe de non-discrimination entre les prisonniers. Il relève même que la loi marocaine ne s’applique pas systématiquement dans les établissements, d’où certaines dérives. Ce qui renvoit alors à un problème de transparence : difficile de connaître ces dérives de l’extérieur. C’est pourquoi l’Observatoire a également suggéré que les ONG puissent accéder aux prisons, et que les commissions de surveillance des prisons puissent faire leur travail sans entrave. Les prisons demeurent en effet particulièrement inaccessibles aux militants des droits de l’homme et aux journalistes, avec toutes les interrogations que cela suscite en terme de respect des droits élémentaires.

Quoiqu’il en soit, le problème du surpeuplement dans les prisons est un secret de Polichinelle, et à cet égard les propositions de l’Observatoire marocain des prisons coïncident avec celles de M. Abdennabaoui : promotion des peines alternatives et des peines assorties de sursis. Enfin, pour rendre le travail des personnels moins pénibles, l’Observatoire propose l’amélioration des conditions morales et matérielles des fonctionnaires, l’augmentation des budgets des établissements pénitentiaires et la mise sur pied, à l’intention de la population carcérale, de programmes « réguliers et permanents » d’éducation et de loisirs. L’Observatoire marocain des prisons est une organisation non-gouvernementale (ONG) fondée en 1999 par des militants des droits de l’homme. Cette institution se fixe pour objectif de protéger les droits des détenus à travers la surveillance de la situation dans les établissements pénitentiaires au Maroc.

Antony Drugeon, LIBERATION, 23 & 24 octobre 2006

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Oct 22, 2006
Casablanca : la métropole s’embourgeoise
Le manque de foncier exerce une pression sur les prix de l'
Le manque de foncier exerce une pression sur les prix de l'immobilier. Photo : Antony Drugeon (CC)

Vivre à Casablanca serait-il en train de devenir un privilège ? A en croire l’évolution des prix, on en est pas loin. La capitale économique du pays connaît une raréfaction des terrains urbanisables, et donc le prix du foncier grimpe en flèche : sur les dix dernières années, les chiffres sont sans appel. Un récent rapport de l’Agence urbaine dresse en effet le panorama des prix de l’immobilier casablancais.

A Casablanca le mètre carré d’habitat économique se négociait autour de 4.000 dh il y a dix ans, aujourd’hui il gravite autour de 7.000 dh. Pour les villas l’évolution est du même acabit : de 2.000 dh, le prix du mètre carré a atteint un peu plus de 4.000 dh; c’est du côté des immeubles que le prix du terrain est l’objet des plus fortes augmentations. Ainsi le mètre carré de terrain à immeuble est passé sur la même période de 9.000 dh à 14.000 dh, selon le rapport de l’Agence urbaine.

Sans surprise, les grands boulevards, le plein centre, sont les plus touchés : dans le triangle de l’avenue El Massira, du boulevard Zerktouni et de l’avenue Hassan II, ainsi qu’autour de la place Mohamed V et de la préfecture, ou sur « le front » des grandes artères (avenue des FAR, boulevards Zerktouni, d’Anfa, Ghandi…) les prix peuvent dépasser les 25.000 dh/m2 ; d’où la présence importante d’immeubles de bureaux. L’habitat est ici trop cher pour la plupart des bourses. Le cadre de vie impacte grandement les prix: le front de mer, à Anfa connaît des prix variants entre 12.000 et 20.000 dh/m2. Le même type d’habitation, (villas) se retrouve à l’ouest et au sud de la ville mais pour des prix inférieurs (entre 8.000 et 12.000 dh). C’est surtout vers l’est de la ville que les prix descendent le plus par rapport au centre ville : avec des prix situés entre 3.000 et 5.000 dh le mètre carré, dans les quartiers populaires de Sidi Othmane, Aïn Chock, ou Moulay Rachid. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre ville, explique le rapport, les valeurs diminuent pour atteindre moins de 150 dh/m2 en zone rurale. Seules les zones urbaines, telles que Médiouna ou Tit Mellil font regrimper les prix fonciers (2.000 à 3.000 dh/m2). L’augmentation des prix est telle qu’elle ne se cantonne pas au centre-ville ; la périphérie se renchérit elle aussi. Car si la population de la ville ne cesse de croître, du fait de l’exode rural et d’une forte croissance démographique, alors que le nombre de terrains disponibles plafonne. Or rareté oblige, les prix décollent.

Mais l’augmentation des prix fonciers n’est pas tout : l’offre est de plus en plus déconnectée de la demande. Comme l’explique Mohamed Charif Houachmi, consultant à l’agence immobilière Lazrak à Casablanca, « le prix du foncier a un effet d’entraînement sur les prix de l’immobilier. Car le promoteur est dans la nécessité de répercuter le prix du terrain sur celui de l’habitat. Donc par logique de rentabilité, nécessairement les promoteurs se doivent de proposer uniquement du haut standing, dans le centre. » De plus en plus de clients recherchent des appartements modestes, d’environ 100m2, entre 800.000 et 1.200.000 dh. Ce qui correspond à la capacité moyenne d’emprunt d’un cadre, poursuit M. Charif Houachami. Mais faute de trouver ce type de produits, beaucoup doivent se tourner vers des appartements de haut standing. Et donc renoncer à être propriétaire. « Il y a 10% de personnes qui peuvent se permettre d’acheter, et qui louent donc aux 90% autres. » Une situation étonnante, qui accumule gaspillages de ressources et inégalités. Alors certes il y a bien des terrains moins chers, où il peut être rentable de proposer des logements plus modestes. Mais là encore, le marché peine à assouvir la demande. M. Charif Houachami pointe du doigt un manque de professionnalisme chez bon nombre de promoteurs, qui, souvent néophytes, réalisent leur premier (voire unique) projet, et qui en font donc un produit haut de gamme pour maximiser leur retour sur investissement. C’est ainsi que les appartements et les studios de moyen standing sont très rares. Ce à quoi s’ajoute encore un problème de commercialisation. Les agences immobilières proposent en effet assez peu de locations modestes aux particuliers, sachant qu’il y a au Maroc « 30 millions d’agents immobiliers », pour reprendre l’expression, désormais célèbre dans le milieu immobilier, du patron du groupe immobilier français Century 21. La quête d’un appartement se faisant souvent par bouche-à-oreille, il est difficile de trouver une liste exhaustive de l’offre. Cette opacité du marché explique en partie également les prix en cours actuellement.

Peut-on espérer une accalmie du marché ? Le secteur de l’immobilier casablancais est dans l’attente du nouveau plan d’aménagement urbain de l’Agence urbaine. Le dernier plan, datant de 1998, ne parvient en effet plus à canaliser les demandes des promoteurs.

Un haut responsable à l’agence urbaine assure qu’un nouveau plan est à l’étude, et devrait entrer en vigueur en 2008. Si l’on ne peut pas en connaître d’ores et déjà les grandes lignes, il devrait néanmoins « s’inscrire dans la continuité des choix historiques de la ville ». A savoir réserver les constructions d’immeubles au plein centre, et privilégier la restructuration de logement, quitte à réhabiliter les bidons ville, plutôt que construire du neuf, compte tenu de la raréfaction du foncier dans la métropole. Principale nouveauté de ce prochain plan : le projet de création d’une ceinture verte de 300 ha autour de la ville, à proximité de la rocade, afin de lutter contre l’insuffisance en espaces verts dont souffre Casablanca. Reste qu’entre la circulation, le logement, et les espaces verts, le prochain plan aura fort à faire pour être gagnant sur tous les tableaux.

Antony Drugeon, LIBERATION, 21 & 22 octobre 2006

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